La France est indignée par l’accord américain sur les sous-marins nucléaires avec l’Australie


PARIS – La France a réagi avec fureur jeudi à l’annonce par le président Biden d’un accord pour aider l’Australie à déployer des sous-marins à propulsion nucléaire, la qualifiant de « décision unilatérale, brutale et imprévisible » qui ressemblait aux changements de politique téméraires et soudains courants sous l’administration Trump.

Les propos fâchés de Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, dans une interview à Franceinfo radio, fait suite à une déclaration officielle de lui et de Florence Parly, la ministre des Armées, qualifiant « le choix américain d’exclure un allié et partenaire européen comme la France » de « décision regrettable » qui « fait preuve d’un manque de cohérence ».

Le degré de colère des Français a rappelé le désaccord acrimonieux de 2003 entre Paris et Washington à propos de la guerre en Irak et a impliqué un langage inédit depuis lors. « Cela ne se fait pas entre alliés », a déclaré M. Le Drian. Sa comparaison spécifique du président Biden à son prédécesseur semblait certaine de rendre furieux le président américain.

Son indignation reflétait le fait que la France avait son propre accord avec l’Australie, conclu en 2016, pour lui fournir des sous-marins conventionnels, moins sophistiqués technologiquement. Cet accord de 66 milliards de dollars s’est maintenant effondré, mais une dure bataille juridique pour le contrat semble inévitable.

« Un couteau dans le dos », a déclaré M. Le Drian à propos de la décision australienne, notant que l’Australie rejetait un accord de partenariat stratégique impliquant « de nombreux transferts technologiques et un contrat d’une durée de 50 ans ».

Scott Morrison, le Premier ministre australien, n’a même pas mentionné la France lors de la visioconférence avec M. Biden et le Premier ministre britannique Boris Johnson, au cours de laquelle l’accord a été annoncé mercredi. La France n’a pas non plus été consultée sur la volte-face australienne et le nouvel accord. « Nous en avons entendu parler hier », a déclaré Mme Parly à la radio RFI.

« Cela ressemble à un nouvel ordre géopolitique sans alliances contraignantes », a déclaré Nicole Bacharan, experte en relations franco-américaines. « Pour affronter la Chine, les États-Unis semblent avoir choisi une alliance différente, le monde anglo-saxon affrontant la France. » Elle a prédit une période « très dure » dans la vieille amitié entre Paris et Washington.

M. Biden a déclaré que l’accord visait « à investir dans notre source de force, nos alliances et à les mettre à jour ». Au moins en ce qui concerne la France, l’un des plus anciens alliés des États-Unis, cette affirmation semble s’être retournée contre elle.

La Grande-Bretagne est le partenaire américain dans l’accord, un autre irritant pour la France après la sortie britannique de l’Union européenne et l’adoption par M. Johnson d’une stratégie de « Grande-Bretagne mondiale » visant principalement la région indo-pacifique. La suspicion française d’une cabale anglophone poursuivant ses propres intérêts stratégiques à l’exclusion de la France n’est jamais loin sous la surface.

À un niveau plus profond, l’accord a remis en cause Emmanuel Macron, le président français, dans certains de ses choix stratégiques centraux. Il est déterminé à ce que la France ne se laisse pas entraîner dans la confrontation de plus en plus dure entre la Chine et les États-Unis.

Au contraire, M. Macron souhaite que la France conduise l’UE vers une voie médiane entre les deux grandes puissances, démontrant « l’autonomie stratégique européenne » qui est au cœur de sa vision. Il a parlé d’une Europe autonome opérant « à côté de l’Amérique et de la Chine ».

De tels commentaires ont été un irritant – si ce n’est plus que cela compte tenu de la distance militaire entre l’Europe et une telle autonomie – pour l’administration Biden. Le président Biden est particulièrement sensible à la question du sacrifice américain du XXe siècle pour la France dans les deux guerres mondiales et à la frilosité française sur son indépendance au sein de l’alliance. M. Macron ne s’est pas rendu à la Maison Blanche depuis que M. Biden a pris ses fonctions, et rien n’indique qu’il le fera bientôt.

L’Union européenne a publié jeudi une longue déclaration intitulée « La stratégie de l’UE pour la coopération dans l’Indo-Pacifique », engageant les nations européennes à s’impliquer davantage à tous les niveaux dans la région. Il a déclaré que le bloc poursuivrait « un engagement multiforme avec la Chine », coopérant « sur des questions d’intérêt commun » tout en « refoulant là où il existe un désaccord fondamental avec la Chine, comme sur les droits de l’homme ».

La formulation reflétait largement la quête de M. Macron d’une politique qui ne risque pas de rompre avec la Chine mais ne s’incline pas non plus devant Pékin. La France a déclaré que la stratégie confirmait « sa volonté d’action très ambitieuse dans cette région visant à préserver la ‘liberté de souveraineté’ de tous ».

Le document ne mentionne pas l’accord américain et britannique avec l’Australie qui permettra aux sous-marins australiens, potentiellement armés de missiles de croisière, de devenir un acteur puissant dans le Pacifique d’une manière qui pourrait modifier l’équilibre des forces navales dans une zone où la Chine a été étendre son influence.

Présentant la stratégie de l’Europe, Josep Borrell Fontelles, le chef de la politique étrangère de l’UE, a déclaré à Bruxelles que l’accord sur les sous-marins renforçait le besoin du bloc d’une plus grande autonomie stratégique.

« Je suppose qu’un accord comme celui-là n’a pas été conclu avant-hier », a déclaré M. Borrell. « Malgré cela, nous n’avons pas été informés. »

L’accord américano-britannique-australien, a-t-il soutenu, était une autre preuve que l’UE doit « exister pour nous-mêmes, puisque les autres existent pour eux-mêmes ».



Roger Cohen – [source]

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