« J’ai 100 ans aujourd’hui, et je lance un appel », par le grand résistant Claude Alphandéry


Ces cent ans de vie me donnent aujourd’hui l’opportunité et l’envie de rapprocher les années de guerre et les années présentes. En 1940, à moins de 20 ans, j’ai vécu un effondrement sans précédent de mon pays, une défaite radicale, une répression implacable. Les années récentes s’avèrent plus insidieuses, apparemment moins foudroyantes. Elles ne sont pas moins cruellement destructrices sous l’effet des crises écologiques, économiques, sociales.

A ces désastres, répond deux fois la Résistance. En 1940, face aux périls, une Résistance, d’abord désorganisée, puis gagnant en puissance avec les maquis, contribue à la victoire et participe à la construction d’une démocratie sociale par le programme du Conseil national de la Résistance (CNR). Aujourd’hui, la résistance s’est déplacée vers le front de l’économie. Nous devons réparer les effets délétères d’une économie mondiale engagée dans une compétition sans freins pour des profits financiers sans limites, quoi qu’elle coûte à l’humanité et à la nature.

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Dans les deux cas, au sein de périls mortels, surgit le renouveau : hier ces étonnants maquis ; à présent, les surprenantes jeunes pousses sociales, solidaires, durables.

France Active[1] les soutient, accompagne leurs initiatives ; celles-ci se multiplient, réparent des maux flagrants, mais restent ponctuelles, trop fragmentées pour créer un mouvement puissant, un modèle économique, gagner l’opinion. Nombre d’entrepreneurs eux-mêmes, fiers de leur action sociale et environnementale, doutent parfois de leur impact politique face aux milliards multinationaux.

Expériences prometteuses

Il existe néanmoins des expériences de coopération plus poussées ; elles sont menées souvent par les entrepreneurs soutenus par France Active ; ils souhaitent à leur tour faire vivre de plus larges solidarités : le don suscite le contre-don. Ils ouvrent des voies, des avancées vers des coopérations plus complexes et systématiques.

Toutes ces expériences de coopération invitent à passer de résistances belles mais ponctuelles et marginales à de profondes transformations permettant de les développer, de les accélérer, de les pérenniser. J’y vois une façon d’inscrire les pratiques de terrain, cette praxis essentielle, dans une vision plus large, l’imaginaire éthique d’un avenir respectant l’humanité et la nature.

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Cette éthique, toutefois, ne s’assume pas facilement : elle est contrariée par le jeu de situations, d’intérêts, de comportements contradictoires qui brouillent, noircissent la vision de l’avenir. Beaucoup reculent, hésitent à s’identifier à un idéal qui paraît distant et que l’idéologie dominante qualifie d’utopie, d’impuissance face à une réalité commandée par la finance.

L’économie sociale et solidaire, le sens de l’Histoire

Mais, où est l’impuissance ? Elle est chez celles et ceux qui par avidité de profits s’obstinent à faire fi du désastre annoncé, à regarder ailleurs. A l’inverse, les entrepreneurs qui renforcent leurs liens de solidarité et de confiance réciproque par leur intelligence collective et leur inventivité sont des leviers puissants de prospérité.

Cet effort de rapprochement n’est pas une démarche isolée ; il est encouragé, facilité par de nombreuses collectivités locales ou régionales qui soutiennent de multiples initiatives solidaires et les inscrivent dans une vision de développement solidaire de leur territoire ; elle l’est aussi par des groupements publics, privés, mixtes tels que le Pacte du Pouvoir de Vivre.

Pour accroître les chances et la portée de leur coopération, il paraît souhaitable de les inciter et les aider à former sur leur territoire des clubs, des ambassades de la coopération ; c’est-à-dire des lieux où l’on apprend à se connaître, à échanger des réflexions, des pratiques, à affirmer des valeurs, une conception de la société et de l’économie.

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Il y a quatre-vingts ans bientôt, j’en avais créé dans les maquis, en me référant à l’histoire des clubs républicains. Ils y ont fait l’apprentissage de la démocratie.

Multiplier les clubs

Aujourd’hui, alors que les avancées issues de la Résistance sont mises en question, nous avons besoin de ces clubs pour renforcer nos liens de solidarité et de coopération.

Ils doivent être des liens facilitateurs, accompagnateurs pour repérer, contacter et mobiliser toutes les forces physiques ou morales, privées ou publiques qui se donnent pour mission de faire connaître, de soutenir, de financer, d’accompagner la montée des coopérations, de préciser leur objet, leurs projets, leurs moyens, d’être au clair sur leurs difficultés.

Je lance donc, au nom de mes cent ans d’attachement passionné à la solidarité, un appel à multiplier et approfondir ces clubs, ces lieux de coopération. J’appelle à la création de cent clubs au moins d’ici deux ans sur l’ensemble des territoires. Je sais pouvoir compter sur France Active comme sur l’ensemble des acteurs de l’Economie sociale et solidaire (ESS) à travailler de concert pour amplifier toutes ces coopérations positives et fondatrices de liens sociaux et de lendemains désirables.

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[1] France Active est un mouvement associatif fondé par Claude Alphandéry il y plus de trente ans. Principal financeur de l’Economie sociale et solidaire, France Active accompagne chaque année près de 40 000 entrepreneurs en mobilisant plus 500 millions d’euros.

BIO EXPRESS

Né le 27 novembre 1922 à Paris, Claude Alphandéry est un résistant, banquier et économiste français. Ancien président du Comité départemental de Libération de la Drôme, et lieutenant-colonel FFI, il est président d’honneur du Labo-ESS et de France Active.



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