Jean-Robert Sansfaçon (1948-2022), vulgariser l’économie pour «changer le Québec»


Tour à tour professeur d’économie, chroniqueur invité, rédacteur en chef adjoint, éditorialiste et rédacteur en chef du Devoir, Jean-Robert Sansfaçon est décédé, vendredi soir, des conséquences d’une tumeur au cerveau. Il avait 74 ans. Sa famille a confirmé la triste nouvelle samedi matin.

Reconnu pour ses talents de vulgarisateur et son regard lucide sur les enjeux qui ont marqué le Québec, M. Sansfaçon est demeuré éditorialiste invité jusqu’à sa retraite en juin 2021, après avoir quitté son poste de rédacteur en chef en 2009.

« On perd un grand ami », souffle Bernard Descôteaux, ex-directeur du Devoir qui a nommé M. Sansfaçon rédacteur en chef en 1999. Les deux hommes se connaissent depuis qu’ils ont travaillé ensemble au journal étudiant du Collège Lionel-Groulx, dans les années 1960, pendant la Révolution tranquille.

Économiste de formation, M. Sansfaçon a commencé sa carrière comme professeur au collégial dans les années 1970. « Les mouvances politiques de l’époque nous ont suivis et nous ont inspiré toute notre vie, raconte M. Descôteaux. C’est resté une constante de vouloir changer le Québec à notre façon, de vouloir rendre la société à la fois plus progressiste et plus riche ».

Dès les années 1980, il a prêté sa plume à plusieurs magazines et chroniquait régulièrement pour le Devoir. M. Sansfaçon a notamment contribué au lancement du magazine Temps Fou (1978-83). En 1993, il est devenu rédacteur en chef adjoint et éditorialiste au Devoir, alors dirigé par Lise Bissonnette.

Un pédagogue attentionné

 

L’actuel directeur du Devoir, Brian Myles, le connait depuis qu’il est arrivé au journal au début des années 1990. Ce dernier se souvient lui aussi, avant tout, de « ses qualités d’être humain ». Il souligne sa générosité et sa sensibilité envers ses collègues et ses concitoyens. « Jean-Robert pouvait se rendre jusqu’au chevet de ses collègues malades. Il était très attentionné ».

Marie-Andrée Chouinard, rédactrice en chef depuis 2016, souligne quant à elle ses qualités de pédagogue. « C’est lui qui m’a montré à faire de l’éditorial, raconte-t-elle. Je lui apportais mes premiers textes et il me les corrigeait avant que je les envoie. Encore aujourd’hui, j’applique les conseils qu’il m’a donnés. »

M. Descôteaux soutient que l’importance qu’il accordait à la transmission se reflétait dans son écriture « remarquable, limpide et souple ». Ses éditoriaux permettaient, dit-il, « d’enrichir nos connaissances en reposant sur faits. »

Jean-Robert Sansfaçon a également publié trois romans : Loft story (Les Quinze) en 1986, L’eau dans l’encrier (Les Quinze) en 1993 et Dernier théâtre (VLB) en 1992. Loft Story s’est d’ailleurs mérité le prix Robert-Cliche décerné pour une première oeuvre au Salon du Livre de Québec.

Un regard pragmatique sur l’économie

Durant toute sa carrière de chroniqueur et d’éditorialiste, Jean-Robert Sansfaçon s’est particulièrement intéressé à l’économie et au filet social du Québec. « Il était capable de vulgariser les politiques publiques tout en évitant le langage abscons, soutient M. Myles.

Grand défenseur de la social-démocratie, Jean-Robert Sansfaçon savait toutefois « voir les limites inhérentes » à certaines politiques plus dépensières, ajoute M. Myles. Il pouvait « remettre la gauche devant ses contradictions » grâce à ses critiques lucides, « modérées et pragmatiques ».

M. Descôtaux précise que « son regard d’économiste aidait à comprendre pourquoi il fallait être prudent quant à certains programmes sociaux ». L’ancien directeur se souvient par exemple de sa critique d’une assurance médicament que voulait mettre en place l’ancien premier ministre du Québec Lucien Bouchard. « L’approche de Jean-Robert se résumait à dire : “prenez le temps de faire vos calculs” ».

« En pleine première vague de la COVID-19, son éditorial intitulé “Le modèle prend l’eau” avait fait grand bruit pour sa dénonciation, lucide, de la piètre qualité des services publics québécois et de leur corporatisme. Jean-Robert savait se montrer dur, mais son analyse était toujours supportée par les faits et une connaissance approfondie de ses sujets de prédilection », écrivait en juillet 2021 Brian Myles, dans un éditorial annonçant la volonté de Jean-Robert Sansfaçon de ranger officiellement son clavier.

Un leg important

 

En tant que gestionnaire, Jean-Robert Sansfaçon a marqué Le Devoir en « prenant la responsabilité » de lancer les cahiers Perspectives et Plaisir de l’édition du samedi, raconte M. Descôtaux. « Une de ses principales préocupations, c’était d’enrichir le contenu du journal, dit-il. On a ensuite connu une belle croissance, même en période de crise des médias ».

Aux côtés de son ami directeur, M. Sansfaçon a d’ailleurs contribué au virage numérique du Devoir. Le journal s’est tourné, sous leur gouverne, vers les abonnements numériques et de nouveaux contenus pour le Web. « Il a mené une gestion extrêmement rigoureuse à une époque où les finances du journal étaient plus fragiles », raconte Mme Chouinard.

« On se souviendra de son altruisme et de son courage », conclut Brian Myles. Même dans les derniers moments de sa vie, ajoute Bernard Descôteaux, Jean-Robert affrontait la maladie avec « sérénité ».

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