Comment les villes moyennes misent sur la culture pour attirer les habitants des métropoles

Laval (Mayenne), 19 novembre 2022. Les habitants découvrent le visage ­ et les nouveaux usages ­ de l’ancien Crédit Foncier, converti en un tiers-lieu ouvert sur un jardin. Le bâtiment, rebaptisé Le Quarante, abrite, sur 8 600 mètres carrés, non seulement le conservatoire de l’agglomération mais aussi un café, des bureaux partagés, une salle de spectacle, un Fab Lab, une Micro-Folie ­ ces musées numériques qui essaiment en France ­ et une médiathèque. « Avec cet espace hybride, nous cassons les codes des lieux culturels classiques qui peuvent intimider certains publics », affirme Florian Bercault, maire (divers gauche) de Laval et président de l’intercommunalité.

Une réhabilitation à 27 millions d’euros, qui bénéficie du programme Action coeur de ville, piloté par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Lancé en 2018 avec une enveloppe de 5 milliards d’euros, et reconduit jusqu’en 2026 afin de renforcer l’attractivité des villes moyennes, il soutient 234 communes à travers 6 000 actions, dont certaines contiennent un volet « Culture ». Un coup d’accélérateur bienvenu qui ne dit pas tout du souffle de renouveau qui traverse ce secteur depuis la crise sanitaire.

« Pendant le Covid, l’absence de temps communs et festifs a mis en lumière combien la vie culturelle nous est bel et bien essentielle. Mais aujourd’hui, on sent une difficulté du public à revenir vers les offres traditionnelles, ce qui entraîne une baisse de fréquentation », soulève Mariette Sibertin-Blanc, maître de conférences à l’université de Toulouse 2. A l’aune de ce contexte particulier, « beaucoup de villes considèrent de nouveau la culture comme pouvant être un moteur de projet social local », observe la chercheuse, qui s’est particulièrement intéressée à la stratégie des petites communes.

Preuve d’un retour en force de ce domaine dans les préoccupations des élus, l’Association des petites villes de France (APVF) a créé en 2021 une commission dédiée. « La crise du Covid a montré qu’il fallait mettre les bouchées doubles pour retisser du lien social avec nos administrés. Cette commission permet de remettre cette dimension au coeur des politiques de développement de nos territoires », explique Patrick Malavieille, maire (PC) de La Grand-Combe (Gard) et référent de l’APVF sur ces questions.

« Les premiers graffs vont fleurir sous des ponts »

Pour éveiller de nouveau les curiosités et rassembler les habitants, petites et moyennes villes investissent plus volontiers l’espace public. Ainsi, à Laval, un manifeste sur l’art urbain a été signé au printemps dernier entre élus, artistes, associations, mécènes et bailleurs sociaux. « Les premiers graffs vont fleurir sous des ponts, sur des bâtiments de grande hauteur », se réjouit Florian Bercault.

La mise en valeur du patrimoine, elle aussi, se réinvente. A Vitry-le-François (Marne), l’ancienne prison, fermée depuis 1926, sera transformée d’ici à 2025 pour accueillir expositions, conférences et… une salle d’e-sport. « Dans beaucoup de petites villes, la valorisation du patrimoine sert de point de départ à d’autres projets qui s’inscrivent dans une dynamique plus contemporaine », avance Mariette Sibertin-Blanc. Et de mentionner Aubusson (Creuse), où la Cité internationale de la tapisserie, ouverte en 2016, a impulsé des collaborations originales, comme la convention signée avec le Tolkien Estate pour la réalisation de 14 tapisseries, dont la treizième a été dévoilée cet automne, autour de l’oeuvre graphique de J. R. R. Tolkien, l’auteur du Seigneur des anneaux.

Si les contenus sont dépoussiérés, les méthodes d’élaboration de ces politiques sont elles aussi bousculées. Depuis septembre 2021, la coopérative d’urbanisme culturel Cuesta est missionnée par l’ANCT pour accompagner quatre villes ­ Mantes-la-Jolie (Yvelines), Niort (Deux-Sèvres), Bourges (Cher) et Guichen Pont-Réan (Ille-et-Vilaine) ­ dans la mise en place de démarches participatives afin de repenser leurs actions. Une coécriture qui s’est déroulée en deux temps : un premier pour recueillir la parole des citoyens et réaliser un portrait du territoire et de ses besoins ; un second pour établir des plans d’action. A Bourges, par exemple, les travaux ont suggéré une « Fête des places » qui animera l’ensemble des quartiers et pas seulement le centre-ville.

« Ne pas faire de la culture une variable d’ajustement »

« L’enjeu est de prolonger ce dialogue avec les habitants, soulève Agathe Ottavi, cofondatrice de Cuesta en 2015. Il y a quelques années, notre discours sur un art utile aux territoires, qui cherche à répondre aux problématiques locales, ne faisait pas mouche », se souvient-elle, heureuse de voir la tendance s’inverser peu à peu. Pour autant, « beaucoup de villes ont encore une politique qui s’appuie sur des équipements en régie et une programmation qui entre parfois en concurrence avec des acteurs locaux. Faut-il dans chaque ville un programmateur culturel ou plutôt un facilitateur, un coopérateur culturel ? », interroge-t-elle.

« Pour des villes de notre strate, s’appuyer sur le tissu local et s’intégrer dans un schéma plus large, à l’échelle du département notamment, sont des choses essentielles », considère pour sa part Patrick Malavieille. Une harmonie d’autant plus nécessaire à l’heure où les collectivités sont confrontées à l’inflation. « Nous sommes plus nombreux qu’avant à penser qu’il ne faut pas faire de la culture la variable d’ajustement de nos budgets, estime le maire de La Grand-Combe. Elle est au contraire l’une des clefs de notre avenir, non seulement pour améliorer la vie de la population au quotidien, mais aussi en termes de retombées économiques et de plus-value pour notre image », assure l’édile.

Plus qu’à la seule dimension économique, il s’agit bien, d’après Agathe Ottavi, de « reconnecter la culture aux autres politiques publiques », en matière sociale et urbanistique notamment. Le tout sans négliger le rôle des artistes, qui ont mille et une idées dans leurs besaces pour embarquer les habitants. « Dans les politiques de transition à l’oeuvre, il faut arrêter de considérer la culture comme la dernière roue du carrosse, c’est une richesse exceptionnelle », poursuit Agathe Ottavi. Et, selon elle, les petites et moyennes villes, « plus souples et plus agiles », jouent un rôle de pionnières dans ce changement de méthode.

Un article du hors-série de L’Express « Trouvez la ville qui vous convient »



Lire plus

About The Author

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

CAPTCHA