En Grèce, la restitution des marbres du Parthénon devient un combat politique


La lumière du soleil d’hiver sublime les marbres exposés dans la galerie du musée de l’Acropole d’Athènes quasi déserte, ce matin de janvier. Dimitri Sarris, un guide touristique passionné, longe ces fragments authentiques sculptés au Ve siècle avant notre ère, alignés avec de faux moulages blancs. Ils forment une reconstitution en dimension réelle de la frise de 160 mètres qui décorait le Parthénon, le célèbre temple qui domine les hauteurs d’Athènes.

Dimitri Sarris désigne l’inscription « BM », pour « British Museum », sous chacun des faux moulages exhibés. Impossible, pour les rares visiteurs, d’échapper à ce détail… Une manière d’insister sur un fait : nombre de vrais marbres sont exposés loin d’ici, dans ce musée de Londres qui détient plus de 75 mètres de la frise originale, ainsi que d’autres sculptures du Parthénon. Depuis quarante ans, Athènes réclame la restitution totale de ces marbres, détachés du temple antique en 1802 par l’ambassadeur britannique Lord Elgin. Le musée de l’Acropole a même été érigé en 2009 dans l’espoir de leur retour, en réponse à l’argument officieux des Britanniques qui jugeaient qu’Athènes ne disposait pas d’un lieu adapté pour accueillir les frises.

Entre ses murs de verre, tout rappelle le « pillage » britannique de ces marbres par Lord Elgin, selon les Grecs, qui les aurait « volés » lorsque le pays était sous occupation ottomane. Mais selon Londres, ils ont été acquis « légalement » à l’époque, auprès des autorités de l’empire. « Ces sculptures doivent être réunies car elles forment un ensemble, s’exclame Dimitri Sarris. Elles ont toute leur place dans ce musée qui peut les accueillir, à côté du temple auquel elles appartiennent. » A travers la baie vitrée du musée, le guide pointe du doigt, à 600 mètres à peine, le Parthénon désossé – le monument le plus visité de Grèce, qui a traversé les âges.

Des touristes visitent le Parthénon, le 4 juin 2021 à Athènes.

Début janvier, l’agence américaine Bloomberg évoquait un possible « prêt à long terme » des marbres par le Royaume-Uni, en échange d’autres antiquités grecques, alimentant l’illusion d’un rapatriement de ces sculptures. La secrétaire d’Etat britannique à la Culture, Michelle Donelan, a définitivement coupé court aux spéculations, dès le 11 janvier, en affirmant que les marbres du Parthénon exposés au British Museum « appartiennent au Royaume-Uni ».

Un combat de quarante ans

« Il y a eu des déclarations contradictoires et un emballement médiatique », réagit l’historienne Kris Tytgat, archéologue spécialiste de la Grèce antique, qui n’a jamais cru à une restitution immédiate des marbres. Un retour de ces sculptures sous forme de prêt « ne sera jamais accepté par la Grèce », assure l’experte, également présidente de l’Association internationale pour la Réunification des Sculptures du Parthénon. Pour Athènes, cela reviendrait à reconnaître la propriété du Royaume-Uni sur ces marbres. Ce serait aussi abandonner un combat politique acharné pour une restitution sans conditions, initié en 1983, et très populaire dans l’opinion.

Une grande partie des Grecs a d’ailleurs perçu ces rumeurs dans la presse en janvier comme un coup politique de la droite. L’objectif : gagner des voix à quelques mois du scrutin législatif, qui doit se tenir cet été. Le Premier ministre de droite, Kyriakos Mitsotakis, a lui-même déclaré : « Si les citoyens grecs croient encore en nous, je pense que nous atteindrons ce but [NDLR : le retour des marbres] après les élections. »

Pour, Omorfia, une Athénienne qui a suivi l’affaire, « la problématique des marbres est utilisée par tous les politiciens, rien de nouveau ! » Lassée, elle ne croit plus à leur retour : « Il y a des discussions sans fin. La Grèce a construit le musée de l’Acropole pour rapatrier ces sculptures, c’était une opportunité, mais rien ne s’est passé… »

Londres ne veut pas ouvrir la « boîte de Pandore »

Pour le Royaume-Uni, une restitution des frises « ouvrirait la boîte de Pandore » a rappelé la secrétaire d’Etat britannique à la Culture. L’acte créerait un précédent pour le retour dans leurs pays d’origine d’autres biens culturels exposés dans les musées britanniques. Or le British Museum compte, à lui seul, plus de sept millions d’objets en provenance de tous les continents. Et s’il détient la majeure partie de la frise du Parthénon, d’autres fragments sont en outre dispersés en France – au Louvre, qui a refusé de réagir sur la question -, en Allemagne, au Danemark, au Vatican, ou en Allemagne. Le débat dépasse donc le différend gréco-britannique.

Les musées occidentaux doivent-ils restituer les objets d’art ? « Assurément, répond Despina Koutsoumba, la présidente de l’Association des archéologues grecs. Le British Museum, tout comme le Louvre, sont des musées coloniaux où tout trésor exposé a été volé ou emporté sans autorisation claire. Les œuvres doivent être restituées, placées dans leurs contextes d’origine. Si les musées veulent des collections étrangères, il existe les expositions temporaires ! »

L’archéologue se félicite des « progrès » réalisés au niveau mondial ces dernières années, comme les récentes restitutions d’objets acquis dans un contexte colonial. Ainsi, en 2021, la France a rendu au Bénin 26 œuvres des trésors royaux d’Abomey, emportées par les troupes coloniales en 1892. En décembre, l’Allemagne a remis au Nigeria vingt bronzes, pillés, eux, en 1897. Mais nombre d’objets culturels des musées nationaux occidentaux relèvent du domaine public, et demeurent souvent protégés. Une loi britannique de 1963 interdit ainsi au British Museum de vendre ou céder tout objet de ses collections. Les marbres ne sont pas près de retourner à Athènes.



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