En Inde, la longue marche de Rahul Gandhi

Ils sont des centaines rassemblés au bord de la route. Emmitouflés dans leurs châles, les habitants des environs d’Unchagaon, un village situé à une centaine de kilomètres de New Delhi, ont bravé la vague de froid qui s’abat sur le nord de l’Inde dans l’espoir d’apercevoir Rahul Gandhi. Figure de l’opposition ayant longtemps souffert d’un déficit de crédibilité, cet homme qui dirige le Congrès national indien – le nom de son parti, habituellement appelé « Congrès » tout court – a entrepris une marche de 3 500 kilomètres à travers le pays continent. La « Bharat Jodo Yatra », la marche pour l’unité de l’Inde, a débuté le 7 septembre, à la pointe sud du pays, et doit s’achever le 30 janvier à Srinagar, au Cachemire (nord-ouest).

Au fil de cent cinquante jours, le dirigeant espère renouer avec le peuple et revitaliser le mythique parti fondé en 1885, qui en a bien besoin. Ce dernier a dominé la vie politique indienne durant presque cinquante ans après l’indépendance en 1947. Et Rahul Gandhi est issu d’une famille qui a fourni à l’Inde trois Premiers ministres : son arrière-grand-père Jawaharlal Nehru, sa grand-mère Indira Gandhi, assassinée en 1984, et son père Rajiv Gandhi, assassiné en 1991. Mais cette formation est aujourd’hui un nain politique à côté de la toute-puissante machine du Bharatiya Janata Party, le parti du peuple indien (BJP) du Premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi, au pouvoir depuis 2014.

En ce petit matin de janvier, Rahul Gandhi entame son 111e jour de randonnée avec 200 marcheurs du parti. Partout où il passe, l’élu de 52 ans suscite de l’enthousiasme. Au fil des kilomètres, celui qui a un jour été qualifié de « costume vide » par des diplomates américains se forge une nouvelle image. « Finalement, Rahul Gandhi est un homme bien, je suis venu pour le voir et écouter ce qu’il a à dire », dit Sitab Singh, un agriculteur de 82 ans qui avait pourtant voté BJP en 2019. Beaucoup viennent porter leurs doléances ; certains ont pris un jour de congé ; une avocate souhaite lui remettre une pétition demandant la création d’un nouveau tribunal : « Il est à mes yeux le plus important représentant de l’opposition capable de porter nos problèmes à l’échelle nationale », assure Shileha Kaushik. A quelques pas, un jeune agriculteur, Gaurav Chauhan, fait part du « plus gros problème » de la jeunesse : le chômage. « Ici, tout le monde est diplômé mais personne n’a d’emploi », explique-t-il.

« L’Inde est aussi mon pays »

Ce trekking politique fait écho à la « marche du sel » du Mahatma Gandhi (sans lien de parenté avec Rahul Gandhi) en 1930. Le père de la nation avait alors parcouru 380 kilomètres à pied pour protester contre l’impôt sur le sel, amorçant un mouvement de désobéissance civile au pouvoir colonial britannique. Le long de son chemin, Rahul Gandhi échange avec des membres de la société civile, des vétérans, des activistes, tous triés sur le volet. « Les gens voient en lui un médiateur capable de faire entendre leur voix, là où eux n’y parviennent plus, car la liberté d’expression est mise à mal, affirme Mohamed Arief, membre du comité sur les minorités du parti et marcheur depuis le premier jour. Musulman, je ne me sens plus en sécurité en Inde et cette marche est une façon de dire haut et fort que la laïcité [garantie par la constitution indienne] n’est pas un gros mot ; que l’Inde est aussi mon pays. »

Depuis leur arrivée au pouvoir en 2014, les nationalistes hindous mettent en pratique l’hindutva, idéologie qui prône la suprématie de l’hindouisme sur les autres religions. Les crimes de haine contre les minorités religieuses, notamment les 200 millions de musulmans locaux, sont en forte augmentation.

« Certains membres du BJP me demandent pourquoi je marche, a lancé Rahul Gandhi en décembre. Ma réponse est la suivante : je suis en train d’ouvrir un magasin d’amour sur votre marché de la haine. » « Nous nous battons pour l’âme de la nation », complète Jairam Ramesh, ancien ministre qui marche à son côté. « La diversité définit l’Inde mais le BJP l’utilise pour diviser le pays », ajoute-t-il, en espérant que le message sera entendu. En 2023, neuf Etats indiens se rendront aux urnes pour renouveler leurs représentants locaux. Et il reste moins de deux ans avant les élections générales de 2024.



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