Superéthanol-E85 : les raisons du succès fou du carburant anti-crise

Le bioéthanol – ou superéthanol-E85 – a battu un nouveau record de ventes en 2022 en France. Sa consommation s’est envolée de 83 %, soit plus de 854 millions de litres sur douze mois, s’est réjouie mardi 24 janvier la Collective du bioéthanol qui a qualifié l’année d' »exceptionnelle » lors d’une conférence de presse.

Commercialisé sous le nom de superéthanol-E85 ou E85, le bioéthanol est un carburant où l’éthanol remplace une partie de l’essence contenue dans les carburants traditionnels et est fabriqué à base d’alcool agricole produit à 80 % en France, à partir de céréales (maïs et blé) ou de betteraves sucrières dans des champs situés notamment dans le Nord ou le Sud-ouest du pays. Il est plébiscité par de plus en plus d’automobilistes pour son prix, 30 % à 40 % moins cher que les autres carburants en raison d’une fiscalité avantageuse « justifiée par ses externalités positives » souligne Nicolas Kurstoglou, ingénieur responsable carburants au Syndicat National des Producteurs d’Alcool Agricole (SNPAA).

« Au 20 janvier 2023, l’écart de prix est de 76 cts/l, pour un prix moyen à la pompe de 1,11€/l pour le superéthanol et de 1,87€/l pour le SP95-E10 », explique l’ingénieur à L’Express. « Il faut préciser qu’il y a 25 % de surconsommation entre le superéthanol E85 et le E10. Malgré cela, en utilisant l’E85, on économise 24 euros à chaque plein de 50 litres. Cela représente 670 euros d’économie pour 20 000 kilomètres, ajoute-t-il. Même si un boîtier coûte 1000 euros, si vous avez une aide de la région Ile de-France ou Paca à hauteur de 500 euros, c’est très rapidement rentabilisé ».

Un boitier vendu « toutes les quatre minutes »

Pour utiliser ce carburant, la première option est d’acheter un véhicule adapté et la seconde, de convertir le sien en installant un boîtier homologué dit « flex fuel » dans un garage agréé. En 2022, selon la filière, 85 000 nouveaux boîtiers ont été installés contre 30 000 en 2021, soit pratiquement le triple. Le leader du marché, Biomotors, en a vendu l’an dernier « un toutes les quatre minutes », selon son directeur général, Alexis Landrieu.

Le bioéthanol représente désormais 6,5 % du marché des essences – contre 4 % en 2021 – et le nombre de stations-service qui en proposent a augmenté de 20 % pour atteindre 3 300, a annoncé la filière. La moitié des automobilistes roulant au bioéthanol l’utilisent depuis moins d’un an, selon une enquête menée en novembre par la Collective du bioéthanol. « Parmi les événements qui ont opéré un rôle de déclic, sont évoqués l’augmentation des prix des carburants (citée à 74 %) et la dimension écologique associée à ce biocarburant (citée à 39 %) », a-t-elle relevé.

« C’est un carburant qui est intéressant économiquement, c’est fondamental, mais il est aussi plus écologique : il réduit de 50 % les émissions de gaz à effet de serre soit 1,8 million de tonnes de CO2 évitées, c’est l’équivalent de 900 000 voitures, et améliore la qualité de l’air en réduisant de 90 % les particules fines par rapport à l’essence sans plomb », explique Nicolas Kurstoglou. Toutefois, les avantages environnementaux des biocarburants restent contestés. Fin mars 2022, l’ONG Transport & Environment publiait par exemple un rapport accablant dénonçant l’utilisation de la production de céréales pour alimenter des voitures, et pas les populations, et ce, malgré « le risque imminent de pénurie alimentaire« , accentué par l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Avec une douzaine d’autres ONG, Transport & Environment appelait ainsi « les gouvernements nationaux à stopper immédiatement l’utilisation de matières premières à base de cultures vivrières et fourragères dans les biocarburants », et la Commission européenne à « s’abstenir de faire pression pour ouvrir des zones réservées à la biodiversité à la production alimentaire », avant d’avoir épuisé les autres options. L’UE a en effet décidé de suspendre temporairement les jachères pour libérer des terres fertiles, produire davantage et ainsi compenser les pertes de production causées par la guerre en Ukraine.

Des prix stables en 2023

De plus, le bioéthanol n’a pas échappé à l’inflation. Dans les stations-service françaises, l’E85 est vendu 1,1083 euro le litre, selon des chiffres du ministère de la Transition énergétique arrêtés le 20 janvier. Or, il se vendait 0,7433 euro le litre début 2022 et 0,6517 euro début 2021, selon la même source.

« Le tarif du bioéthanol a subi l’augmentation des coûts agricoles et des prix de l’énergie, notamment du gaz, ce qui a été répercuté dans les contrats d’approvisionnement conclus entre les fournisseurs d’éthanol et les distributeurs de carburants pour l’année 2023 », souligne la Collective du bioéthanol. Le gaz, dont le prix a augmenté jusqu’à 250 % entre janvier et août 2022 en raison des conséquences de la guerre en Ukraine, est en effet utilisé pour distiller le bioéthanol dans les usines, explique Nicolas Kurstoglou.

Le tarif du bioéthanol est fixé chaque année à l’automne par contrats avec les agriculteurs et il dépend notamment de l’indice de l’inflation qui a fortement progressé l’an dernier. « Le prix de l’E85 est donc stable pour l’année 2023, souligne l’ingénieur. En revanche, en septembre 2023, les prix du gaz baisseront probablement et cela permettra de renforcer l’écart de prix avec l’essence sans plomb en 2024 ».

Une inconnue demeure encore sur les conséquences de la décision du gouvernement français de renoncer à une troisième dérogation permettant aux betteraviers d’utiliser des insecticides néonicotinoïdes. « En l’absence de solutions efficaces, les surfaces (de betteraves) risquent de baisser sensiblement », a affirmé le syndicat des betteraviers (CGB), soulignant que cela allait renforcer « le risque d’importations massives de sucre ou d’éthanol (du Brésil notamment) ».



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