Les improbables promesses des start-up d’auto-hypnose

Le dicton selon lequel il y a un temps pour tout a trouvé sa variante moderne. Il y a désormais une application pour tout… y compris pour se faire hypnotiser. Venues des Etats-Unis, les entreprises promettant l’auto-hypnose se sont multipliées ces dernières années. Leurs applications s’appellent Reveri, Harmony Clementine, Hypnobox, ou, plus simplement, Autohypnosis. Elles existent par dizaines et, en France, plusieurs start-up suscitent même un intérêt important. Spécialisée dans l’auto-hypnose pour lutter contre le tabagisme ou la prise de poids, la française OneLeaf a par exemple réalisé une levée de fonds de 5,1 millions d’euros, d’après le décompte du cabinet ECAP Partner pour L’Usine Digitale. Deux semaines plus tôt, une autre jeune pousse française lancée en 2017, Hypnoledge, annonçait avoir récolté 1 million d’euros auprès de ses investisseurs pour l’apprentissage des langues sous hypnose. Perte de poids, réduction du stress, augmentation de la confiance en soi et même, donc, bilinguisme… Les nouvelles promesses de l’auto-hypnose sont nombreuses, et, à en écouter ses promoteurs, ses résultats sont presque miraculeux. Mais attention aux mirages d’une discipline sur laquelle les études scientifiques sont encore rares.

Les start-up se multiplient, parce que le marché ne cesse de grossir. En France, près de 40 % des Français ont déjà recours à des pratiques médicales dites « non-conventionnelles » – dont l’hypnose fait partie. Aux Etats-Unis, le marché de la méditation est estimé à 1,86 milliard de dollars en 2021, et pourrait avoisiner les 2,5 milliards d’ici à 2025. La plupart des applications sont conçues sur une formule d’abonnement dont le prix va de quelques euros à une trentaine par mois. L’abonnement de l’application américaine Harmony s’élève par exemple à 8 dollars par mois et 50 dollars par an – mais ses utilisateurs peuvent débourser 150 dollars pour l’acheter à vie. Côté français, Hypnoledge propose plusieurs offres : solo, à 19,90 euros par mois, famille, à 29,90 euros mensuels ou encore un pack « à vie », à acheter en une fois et s’élevant à 449,90 euros. OneLeaf – qui vise pour l’instant essentiellement le marché américain – propose l’accès à l’ensemble de sa bibliothèque de contenus pour 67,99 dollars par an et 7,99 dollars par mois. « Nous espérons également pouvoir, à terme, nous tourner vers des abonnements d’entreprise », explique à L’Express Eliott Cohen-Skalli, fondateur de OneLeaf.

L’hypnose à domicile

Le fondateur de l’application est d’autant plus optimiste que la start-up ne parie pas seulement sur la taille du marché de l’hypnose, estimé à 4,5 milliards de dollars en 2025 par la société d’études américaine Grand View Research. « Nous visons celui de la minceur, ainsi que les utilisateurs intéressés par l’arrêt de la cigarette ou cherchant à réduire leur stress », précise-t-il. Plus que le secteur de l’hypnothérapie ou de la méditation, OneLeaf lorgne clairement vers celui du bien-être. Une industrie à la dimension colossale : une estimation du cabinet de conseil McKinsey chiffrait cette dernière à plus de 1 000 milliards de dollars annuels.

Devant une telle manne financière, l’hypnose est donc mise à toutes les sauces. OneLeaf, avec ses tarifs avantageux, se voit volontiers en substitut des hypnothérapeutes. Aux Etats-Unis, une séance d’hypnose peut s’élever entre 75 et 125 dollars en moyenne. En France, les prix sont légèrement moins chers, entre 50 et 70 euros la séance. « Pourquoi sortir de chez soi quand on peut bénéficier des effets d’une séance depuis son domicile ? », plaide Eliott Cohen-Skalli. Avec des programmes de vingt-un jours, OneLeaf promet ainsi de vous aider à améliorer votre confiance en vous, à perdre du poids ou à arrêter de fumer. « Ils sont pour l’instant exclusivement disponibles en anglais car nous visons des utilisateurs anglo-saxons », précise le fondateur de l’application. Chaque programme, élaboré avec des spécialistes de l’hypnothérapie et de psychologie du comportement, est composé de sessions de vingt à trente minutes d’une voix off émettant des suggestions, accompagnées de rythmes binauraux en musique de fond. Les écouter permettrait selon la start-up, à terme, de changer son comportement.

Hypnose médicale

La promesse d’Hypnoledge est similaire. « Au début de chaque cours d’hypnose, une ‘induction’ permet d’être dans un état où toute l’attention est focalisée sur l’instant présent », détaille Gershon Pinon, hypnothérapeute et cofondateur de l’application. De quoi, selon lui, améliorer la concentration, et donc l’apprentissage de la langue. Une technique si efficace qu’elle pourrait permettre de se passer d’un professeur particulier. « L’application n’est pas que de l’hypnose ! Elle contient du vocabulaire, de la syntaxe, des règles grammaticales… Elle est vraiment gigantesque ! » s’enthousiasme Gershon Pinon.

Cette promesse fait bondir des spécialistes du secteur. Le principe même d’auto-hypnose, pour commencer, en laisse plus d’un sceptique. « L’hypnose pour apprendre les langues ? Mais qui est assez naïf pour imaginer ça ? » s’agace Vianney Descroix, docteur en chirurgie dentaire à l’université de Paris et membre du comité scientifique de l’Institut français d’hypnose. Le médecin ne doute pas de la méthode : il pratique l’hypnose médicale depuis dix ans, pour accompagner des douleurs chroniques, des troubles émotionnels ou encore des opérations de chirurgie dentaire.

Quête de légitimité

Un rapport de l’Inserm publié en 2015 relève d’ailleurs qu’il « existe suffisamment d’éléments pour pouvoir affirmer que l’hypnose a un intérêt thérapeutique potentiel, en particulier en anesthésie ». Mais cela ne signifie pas qu’elle puisse être employée à n’importe quelle fin. « Dans le cas du sevrage tabacologique, l’hypnose n’est pas forcément à déconseiller. Elle peut servir d’accompagnement psychologique au fumeur, remarque le professeur Daniel Thomas, porte-parole de la Société francophone de tabacologie. Mais rien n’a démontré scientifiquement qu’elle permettait d’aider à arrêter de fumer. »

De la même manière, difficile de trouver des preuves suffisantes pour assurer que l’hypnose sert à perdre du poids ou à reprendre confiance en soi. Il en va de même dans le cas de l’apprentissage des langues. « Les promesses de ces applications sont à prendre avec d’autant plus de précautions qu’elles n’ont souvent pas été soumises à des évaluations cliniques, prévient Grégory Ninot, directeur adjoint de l’Institut Desbrest d’épidémiologie et de santé publique à Montpellier. A l’inverse des médicaments, dont l’efficacité doit être testée avant d’être mis sur le marché, ces entreprises n’ont pas de tels résultats à présenter. »

En quête de légitimité, certaines start-up d’auto-hypnose cherchent néanmoins à nouer des partenariats avec des laboratoires scientifiques. OneLeaf, par exemple, explique être « en négociation » pour lancer des « essais cliniques le mois prochain » avec le laboratoire de l’université de New York. De son côté, Hypnoledge a signé un partenariat avec le Centre de recherches sur la cognition et l’apprentissage de l’université de Poitiers. « Nous étudions l’impact de leur système et potentiellement son efficacité explique Nicolas Vibert, directeur de recherche au CNRS. L’hypnose permettant une focalisation de l’attention, elle pourrait potentiellement nous aider à mieux mémoriser du vocabulaire. » L’efficacité de la technique reste donc à prouver. « La popularité du mot ‘hypnose’ en a fait un terme marketing, mais il ne faut pas attendre de résultats miracle de ces applications, prévient Antoine Bioy, psychologue clinicien et hypnothérapeute. Cela dit, cela ne veut pas forcément dire que tout est à jeter. Elles peuvent être de bons outils d’accompagnement dans la relaxation. »

Si l’auto-hypnose peut exister, difficile d’entrer dans le fameux « état hypnotique » vanté par les applications sans avoir été au préalable en contact avec un spécialiste, aux dires de plusieurs professionnels. « L’hypnose est une rencontre, estime Vianney Descroix. Une application froide comme la mort, ça ne marche pas. » Pour ce praticien, l’état d’hypnose est permis par le contact entre le patient et le thérapeute. « On ne peut pratiquer l’auto-hypnose si on n’a pas été reçu avant par un praticien, renchérit Antoine Bioy. Tout simplement parce que les techniques d’hypnose varient d’un individu à un autre. Il n’y a pas de modèle qui s’applique uniformément à chacun. »



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