"C’est l’histoire d’un scientifique qui a mal tourné" : Steven Koonin, l’art du déni climatique

« Lisez Koonin et cessez de nous baratiner sur les effets du changement climatique ». La réplique, cinglante, revient de plus en plus souvent sur les réseaux sociaux. Il faut dire qu’avec Steven Koonin, ancien sous-secrétaire d’Etat à la science de l’administration Obama entre 2009 et 2011, les « dénialistes » ont trouvé leur nouveau champion. Son dernier ouvrage Climat, la part d’incertitude (Ed. L’Artilleur) se serait déjà vendu à près de 200 000 exemplaires dans sa version anglaise (e-book et versions audio comprises). Et sa traduction française, disponible depuis la fin 2022, affiche déjà 15 000 ventes au compteur.

« Koonin, c’est l’histoire d’un scientifique qui a mal tourné, explique un climatologue français ne souhaitant pas commenter cette dérive. Son livre est clairement fait pour les procrastinateurs voire les complotistes. A chaque chapitre, il écrit que l’on ment à la population. Plus grave, l’auteur met en doute ce que nous tenons aujourd’hui pour acquis : l’impact sans équivoque des activités humaines sur le réchauffement ou encore l’urgence d’agir« .

De passage en Europe pour une série de conférences au moment où le Giec vient lui aussi de publier son dernier rapport, Steven Koonin nous reçoit dans le salon cossu d’un hôtel parisien. L’oeil vif, la posture amicale, il accepte la critique avec calme. « Vous savez, des personnes éminentes me disent en aparté que j’ai raison ». Et l’expert de dérouler son discours parfaitement huilé : « Oui, notre planète se réchauffe mais il existe un fossé entre ce que disent vraiment les rapports du Giec et les informations reprises dans le résumé destiné aux décideurs ou bien celles diffusées dans les médias. La vérité n’est pas aussi anxiogène qu’on le pense. Beaucoup de scientifiques vont au-delà de leur rôle en essayant de convaincre plutôt qu’en décrivant simplement la situation ».

Dans son livre, Koonin expose donc sa version des faits : les sécheresses aux Etats-Unis ne sont pas plus fréquentes qu’avant. Le nombre de morts ne va pas augmenter de manière importante car le réchauffement entraîne aussi une diminution du nombre de décès liés au froid. Quant à la montée du niveau de la mer, ici encore, les scientifiques et les médias en font trop. Pour tenter de nous convaincre, il télécharge sur son smartphone un graphique montrant la quantité de glace perdue chaque année par le Groenland. La courbe, qui obéit à des cycles, ne montre pas de dégradation au fil des décennies. Elle affiche même une nette baisse sur la période récente…

« Ce sont des données publiques issues de l’institut météorologique danois », assure l’intéressé. Les climatologues, eux, s’étranglent en lisant son livre. « C’est une présentation tronquée et malhonnête des choses. Koonin sélectionne certaines informations et oublie volontairement le reste, dénonce François-Marie Bréon, physicien et climatologue ayant participé à la rédaction du 5ème rapport du Giec. Par exemple, il insiste beaucoup sur le fait que le nombre de canicules n’augmente pas particulièrement aux Etats-Unis. Or cette zone constitue une exception. Il se passe le contraire dans le reste du monde ! »

Un livre fait « pour ceux qui ne veulent pas faire d’efforts »

Ce « cherry picking », l’art d’exclure les informations contraires à sa thèse, Koonin l’applique aussi aux modèles climatiques, l’une des cibles de son ouvrage. « On peut effectivement affirmer qu’il y a une incertitude sur le climat puisqu’on n’est pas capable de dire aujourd’hui si la Terre va se réchauffer de 1,5 ou de 3 degrés. Mais l’honnêteté impose aussi de reconnaître que tous les modèles pointent dans la même direction. Ils nous disent qu’il y aura davantage de précipitations extrêmes, de canicules et que le niveau des mers va monter. Même si les simulations de certains modèles sont moins inquiétantes que d’autres, le principe de précaution doit prévaloir « , estime François-Marie Bréon.

Koonin, à l’inverse, nous explique que nous avons le temps pour réduire nos émissions de CO2. Il évoque tout de même un plan B reposant sur la géo-ingénierie du climat à savoir l’absorption puis le stockage du CO2 dans le sol, ou la gestion du rayonnement solaire. « Je n’y suis pas favorable, tient-il à préciser. Cette dernière option consistant à bloquer une partie des rayons du soleil, à l’aide de particules par exemple, me semble très dangereuse. Au-delà de son imprécision, elle pourrait aboutir à des guerres. Toutefois, je suis un éternel optimiste. Je crois en notre formidable capacité d’adaptation ».

Celle-ci a pourtant des limites et le dernier rapport du Giec le rappelle : l’objectif principal doit rester la diminution de nos émissions de CO2. « Ce livre est clairement écrit pour les gens qui ne veulent pas faire d’efforts, qui veulent se donner bonne conscience tout en continuant de prendre l’avion ou de vivre sans contrainte », déplore François-Marie Bréon. Ce jeudi 23 mars, Steven Koonin, invité par l’Association des Climato-Réalistes, doit donner une conférence publique avec une traduction simultanée. Nul doute que ses fans se précipiteront pour le voir.



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