Retraites, "la réforme ou la faillite" ? Ce qu'il en est vraiment

Au départ, il y a le verbe. Et puis les chiffres. « C’est la réforme ou la faillite », a menacé Gabriel Attal, le ministre des Comptes publics, à maintes reprises, lors du débat parlementaire sur le recul de l’âge légal de départ en retraite. Le jeudi 16 mars, devant une poignée de ministres essorés, le chef de l’Etat a justifié l’utilisation de l’article 49.3 par l’existence de « risques économiques et financiers » trop grands. En septembre 2007 déjà, François Fillon, alors Premier ministre, déclarait être à la tête d’un « Etat en faillite ». Entre les deux, rien. Sinon une rivière de déficits et le totémique « quoi qu’il en coûte » inventé au moment du Covid et poursuivi après le déclenchement de la guerre en Ukraine. Le résultat : un endettement public à des sommets himalayens, la barre des 3 000 milliards d’euros devant être franchie cette année (111 % du PIB).

Aujourd’hui, le péril grec rode-t-il aux frontières de l’Hexagone ? A court terme, pas vraiment. Certes, les conditions d’emprunt de l’Etat français se sont tendues, et l’écart entre les taux des obligations à dix ans françaises et allemandes atteint 0,54 % contre 0,44 % en janvier. « Mais en 2011, au plus fort de la crise de la zone euro, cette différence atteignait 1,90 %. Nous ne sommes donc pas en phase de stress maximal, mais pas en totale tranquillité non plus », observe Alexandre Baradez, le responsable des analyses marchés chez IG.

De fait, le feu couve, et des signaux d’alerte s’allument ici et là. Le plus brûlant, celui de la charge de la dette, à savoir la somme des intérêts que la France doit rembourser chaque année à ses créanciers. En 2022, l’addition s’est alourdie de près de 13 milliards d’euros. C’est peu ou prou le montant du déficit des retraites estimé avant la réforme en 2030… Une dérive qui tient d’abord au dérapage inflationniste. « Un peu plus de 10 % des obligations d’Etat émises sont indexées sur l’inflation. Une spécificité française. Quand les prix s’enflamment, nos remboursements aussi », explique l’économiste Eric Dor. Demain, l’effet de la dérive des taux d’intérêt va s’y ajouter. Au moment où Elisabeth Borne abattait le joker du 49.3 au Palais-Bourbon, dans la grande salle des gouverneurs au dernier étage de la tour de la Banque centrale européenne à Francfort, Christine Lagarde, la présidente de la BCE, donnait un nouveau tour de vis à la politique monétaire.

Une mécanique infernale

Un poison lent aux effets cumulatifs. La mécanique est infernale : à chaque échéance obligataire qui tombe, le Trésor français est obligé de se réendetter. En 2023, il devrait émettre l’équivalent de 270 milliards d’euros d’obligations. Or, il va le faire à des conditions d’emprunt nettement moins avantageuses qu’il y a un an encore. Au fil des années, le taux moyen du stock de la dette grimpe inexorablement… et avec lui la facture à payer aux créanciers. D’après les calculs de Stéphane Déo, le chef économiste de la société de gestion Ostrum, même si le loyer de l’argent restait scotché au niveau actuel, la charge de la dette s’alourdirait de 20 à 25 milliards d’euros d’ici à 2030. De quoi faire de ce poste la première ligne des dépenses publiques, devant l’éducation, l’armée ou la santé…

Au regard des sommes en jeu, le recul de l’âge de départ à la retraite ne changera guère l’équation ni la trajectoire infernale. « C’est avant tout un signal donné aux Allemands, aux Néerlandais, à la Commission européenne et aux agences de notation d’un changement de paradigme en France, d’une première tentative de maîtrise de la dépense publique », assure François Ecalle, fondateur du site Fipeco et ancien responsable du rapport sur l’état de la France à la Cour des comptes. Un gage essentiel au moment où la France et l’Allemagne s’écharpent à Bruxelles sur la redéfinition des fameux critères de Maastricht, aujourd’hui totalement caducs. Un gage essentiel, aussi, alors que les 27 Etats membres de l’Union vont discuter âprement de la faisabilité d’emprunter à nouveau en commun pour abonder le futur fonds de souveraineté stratégique lors du prochain sommet européen des 23 et 24 mars prochain. La gauche pourra toujours accuser le chef de l’Etat de s’être plié aux exigences des marchés financiers et de nos voisins européens. C’est vrai, en partie. Mais nier ces exigences, c’est s’enfermer dans un déni de réalité.



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