Retraites, les dessous d’une journée décisive : fausse manip', négociations et hésitations

Faux départ ! Ou, plutôt, fausse arrivée ! C’est selon… Il est précisément 16h48 ce mercredi 15 mars et un communiqué de presse tombe sur le fil WhatsApp du groupe LR destiné aux journalistes : « Une CMP conclusive avec trois avancées majeures, sous l’impulsion des Républicains, au nom des Français ! » Sauf que… Rien ne va. Pas plus la date affichée, celle du 5 mars (sic), que l’horaire de l’envoi : la commission mixte paritaire n’est absolument pas conclusive, pour la simple et bonne raison qu’elle n’a pas encore terminé l’examen de la réforme des retraites. Oups. Le document est supprimé dans la minute. Trop tard, bien sûr.

« Petit raté interne », évacue-t-on dans la seconde à la direction du groupe. Les parlementaires de gauche, eux, font leur miel de la bourde qui, en outre, apporte de l’eau à leur moulin sur l’hypothèse d’une entente préalable entre LR et la majorité. « Olivier Marleix a dû se tromper en appuyant sur le bouton, il était peut-être trop empressé d’annoncer le pacte, ou le mariage d’amour. Mais le pacte existe bien, tout est ficelé », s’empresse de déclarer le député socialiste Arthur Delaporte, membre de la CMP. Il suffisait pourtant d’attendre encore un peu : près d’une heure plus tard, les quatorze parlementaires – particulièrement ceux de Renaissance et LR – ont bel et bien trouvé un compromis sur le texte à soumettre, jeudi, au vote solennel du Sénat et de l’Assemblée nationale.

Le plus dur est à venir, mais l’étape était tout de même importante. Lundi soir, Élisabeth Borne et Olivier Dussopt ont reçu leur petite troupe de négociateurs à Matignon – Fadila Khattabi, Stéphanie Rist, Sylvain Maillard, Xavier Iacovelli, ainsi que les présidents des groupes de la majorité – pour régler les derniers arguments, définir les dernières lignes rouges, arrêter les dernières petites concessions à faire à la droite. Il était question des retraites anticipées, de la pénibilité, des Outre-mer et, bien sûr, des carrières longues, l’un des points centraux de contestation pour les députés LR réfractaires autour d’Aurélien Pradié.

Jusqu’à ce mercredi matin 9 heures, ils sont restés en lien constant, multipliant les coups de fil, avec les équipes de la Première ministre et le ministre du Travail. Finalement, selon le vice-président du groupe Renaissance Sylvain Maillard, la Commission mixte paritaire a voté l’amendement carrières longues dans les mêmes termes que ceux déposés par les députés Les Républicains et Horizons… Moins ambitieux que celui de Pradié. Croisés au Palais Bourbon, les sénateurs LR Catherine Deroche et René-Paul Savary, qui participaient à la CMP, confirment que certains salariés dits « carrières longues » pourraient travailler entre 43 et 44 ans selon leur date de naissance.

Un « coupable tout désigné »

Ce mercredi soir, ils sont nombreux à se féliciter des travaux de la journée : le patron des sénateurs LR Bruno Retailleau, celui des députés Olivier Marleix, les parlementaires de la majorité et membres du gouvernement, au premier rang desquels Élisabeth Borne. Mais tous restent dans l’inconnu. Quel scénario pour la journée de jeudi ? L’exécutif décidera-t-il d’aller au vote, ou d’utiliser l’article 49-3 pour passer en force ? « Faut-il prendre le risque ? », demande-t-on à un ministre de premier plan. Réponse pour le moins vague : « C’est toujours le but. » Depuis plusieurs jours maintenant, Matignon tente d’affiner le nombre de voix à l’Assemblée qui lui permettraient de voter le texte ; d’avoir l’estimation la plus claire possible des défections. Au sein de la majorité, le débat fait rage : « Si on utilise le 49-3, je ne vois pas comment on repart, souffle un député Renaissance proche du président de la République. Perdre serait une claque, mais on a un récit à écrire et un coupable tout désigné : LR. » C’est également la position des groupes MoDem et Horizons.

Au fil des heures, l’hypothèse d’une mise au vote semble de plus en plus probable. Et, mécaniquement, celui d’un 49-3 s’éloigner. Par SMS, certains membres du gouvernement font montre d’un optimisme non dissimulé. En privé, Élisabeth Borne ne balaierait pas l’idée de proposer une nouvelle lecture à l’Assemblée et au Sénat en cas de défaite jeudi au Palais Bourbon. D’ici là, pas d’impair, beaucoup – trop pour certains – a déjà été fait pour limiter les défections LR.

« On dit qu’on les aime très fort »

Mardi midi, le téléphone du porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, vibre sur la nappe blanche de la table à manger. L’écran tactile affiche le nom du directeur adjoint du cabinet d’Élisabeth Borne, Étienne Champion. Le collaborateur de la Première ministre lui demande de se charger des Questions au gouvernement relatives aux politiques de Santé, puisque le ministre en charge, François Braun, sera absent cet après-midi-là. Une, sur la crise l’hôpital public, sera posée par un LR, Jean-Jacques Gaultier ; une autre, sur la fermeture de maternités, par un membre du groupe LIOT, David Taupiac. Il est donc vivement conseillé au porte-voix du pouvoir, décrit par une partie de ses collègues comme trop sec dans ses échanges à l’Assemblée, de « soigner » – sans mauvais jeu de mots – ses interlocuteurs du jour. Rien n’est à négliger à l’avant-veille du vote. Surtout pas l’ego des parlementaires. Imaginez que tout se joue sur une abstention… Un impératif que résumait un autre ministre, le même jour à cette même heure du déjeuner, avec un large sourire moqueur : « Jusqu’à jeudi soir, on évite de faire des bras d’honneur aux Républicains et on dit qu’on les aime très, très fort. »

Cela aurait-il porté ses fruits ? À la suite de la CMP, Les Républicains ont tenu une réunion de groupe à huis clos et le vent serait peut-être en train de tourner. C’est en tout cas le sentiment du député LR Maxime Minot, pourtant farouche opposant à la réforme des retraites : « Ce serait mentir que de dire qu’il n’y a pas eu un effort de fait, cela fait réfléchir. Ça en fait changer d’avis quelques-uns. » Même son de cloche chez un proche d’Aurélien Pradié, Raphael Schellenberger, qui loue au sein de son camp « une volonté de retrouver un chemin de réconciliation ».

Mais puisque à la fin des fins, le dernier mot reviendra, comme souvent, à Emmanuel Macron, celui-ci réunit mercredi soir, à l’Élysée, sa Première ministre et les ministres concernés par la réforme pour entériner une décision finale.



Lire plus

About The Author

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

CAPTCHA