Carla Baltus (Medef) : "A Mayotte, les entreprises sont en train de mourir à petit feu"
En déplacement à Mayotte ce 11 février, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin a annoncé que le « droit du sol » serait supprimé sur cette île française de l’océan Indien, paralysée depuis trois semaines par des barrages contre l’insécurité et l’immigration. Mayotte est gangrenée par la corruption, la violence et la situation ne cesse de s’aggraver. L’île vit aujourd’hui une forme de blocus économique. Le témoignage saisissant de Carla Baltus, à la tête d’une entreprise dans les transports et présidente du Medef à Mayotte.
L’Express : Alors que Mayotte est paralysée par des blocages routiers d’habitants qui dénoncent l‘insécurité, les violences se généralisent dans l’île. Quelle est la situation économique ?
Carla Baltus : Actuellement, nous vivons dans le chaos sur le chaos… Clairement, nous sommes en mode survie. Nos trésoreries sont à sec, nous ne sommes plus à jour de nos charges sociales. Et pour parler de mon entreprise – une entreprise de transport -, nous sommes à la mi-février et je ne sais pas du tout comment je vais faire pour payer mes salariés à la fin du mois. Les délais de paiement ont explosé, les factures des clients ne rentrent pas car toute l’économie est désorganisée. La situation que nous vivons depuis près de trois semaines est en réalité bien pire que pendant le Covid car les instruments d’aides de l’Etat ne sont pas du tout adaptés. Nous avons besoin d’un soutien spécifique urgent !
Comment font les entreprises pour continuer à fonctionner ?
C’est extrêmement compliqué. Avec la violence généralisée, les bandes de pillards et les barrages tous les kilomètres, les salariés ne peuvent pas venir travailler. On estime que les entreprises tournent en moyenne avec 25 % seulement de la main-d’œuvre. Les administrations fonctionnent aussi au ralenti. Les chantiers de BTP sont quasiment tous à l’arrêt. Pire, le port est totalement engorgé : faute de personnel, les containers ne sont plus débarqués, les lieux de stockage sont pleins à craquer, et les produits périssables pourrissent sur place. Depuis mercredi, le transporteur DHL a décidé qu’il n’assurait plus la livraison des colis à l’arrivée et au départ de l’île. C’est comme une sorte de confinement de l’île. Les pharmacies ont du mal à être approvisionnées, les ambulances parviennent difficilement à transporter les malades vers l’hôpital. Si la grande distribution a du stock, les petites épiceries de quartier commencent à manquer de marchandises.
Nous aussi, nous avons une crise agricole ! Les agriculteurs ont du mal à rejoindre leurs exploitations et ramasser leurs récoltes tandis que les pêcheurs ne sortent plus les bateaux faute de carburant. Et puis, il faut rajouter la concurrence déloyale exercée par une immigration incontrôlée et une économie informelle qui gangrène toute l’économie.
Pourtant les gouvernements multiplient les plans d’urgence…
La première chose à faire, c’est d’abord restaurer la sécurité sur l’île. L’opération Wuambushu, lancée fin avril à Mayotte a fait la démonstration que lorsqu’on met des moyens humains, des forces de l’ordre sur le terrain, on peut espérer une forme de retour au calme. Mais malheureusement, cette opération n’a duré que deux mois, et les policiers supplémentaires sont partis. Nous manquons de gendarmes, de policiers sur l’île. Le deuxième problème, c’est l’immigration clandestine. Pourquoi, les clandestins arrivent si facilement à percer les filets ? On estime aujourd’hui que la moitié de la population de l’île est composée de clandestins.
Quelles mesures de soutien économique demandez-vous ?
Un fonds de solidarité comme l’Etat a pu en créer pendant la crise du Covid, un report – et pas une annulation, je précise – de nos dettes fiscales et sociales. Un meilleur accompagnement des banques. Pour l’instant, on nous propose un système de chômage partiel où l’Etat prendrait en charge 60 % de la rémunération des salariés. Mais il faudra que nous versions tout de même les 40 % restants. Mais beaucoup n’ont même pas la trésorerie suffisante. Ce qui veut dire une perte sèche de revenus pour les salariés. A Mayotte, un salarié fait vivre entre 5 et 10 personnes. Les conséquences sociales de ce blocage économique sont catastrophiques. Aujourd’hui, les entreprises sont en train de mourir à petit feu…