Explosion des cas de Covid en Chine : quel impact sur l’Europe ?

La Chine est passée d’une stratégie « zéro Covid » à… aucun plan. Début décembre, face à la hausse des contaminations et aux milliers de manifestants dans les rues et universités du pays réclamant la fin des mesures sanitaires à coups de feuilles blanches brandies et de « Xi Jinping démission », le parti-Etat a subitement décidé d’ouvrir les vannes. Exit les confinements dans des centres de quarantaine, les tests PCR obligatoires à foison ou les barricades bloquant les rues… Pour la première fois depuis presque trois ans, la Chine donne du mou à “l’ennemi invisible”. Résultat : les cas de Covid explosent dans le pays.

Si les données officielles ne sont pas fiables (5 241 morts du virus en Chine depuis le début de la pandémie, un chiffre extrêmement bas comparé à d’autres pays moins peuplés), les témoignages dans la presse ou sur les réseaux sociaux d’hôpitaux saturés et de crématoriums qui tournent à plein régime se multiplient. “Certaines informations sont à prendre avec précaution, mais on s’attend à ce qu’il y ait des répercussions sanitaires importantes. Il est difficile de se faire une idée sur la base des informations qui sont communiquées mais l’OMS a confirmé que la Chine a vu ses digues de la stratégie zéro Covid céder sous la pression du virus, analyse pour L’Express le Pr Antoine Flahaut, épidémiologiste à l’université de Genève. Selon cet expert, c’est probablement le variant BF.7, dérivé d’Omicron BA.5, variant très transmissible, échappant à l’immunité acquise par les vaccins sur la transmission (pas sur les formes graves), qui a rendu la situation “intenable” vis-à-vis d’une stratégie de zéro Covid.

Mardi 20 décembre, les autorités ont même décidé de changer la méthodologie de comptage des morts du Covid. Seules les personnes décédées directement d’une insuffisance respiratoire liée au Covid-19 seront désormais comptabilisées dans les statistiques contrairement à la norme internationale qui prévaut et compte comme mort du Covid toute personne décédée avec le virus.

La vaccination en cause

D’après les calculs des chercheurs de l’Université de Hong Kong, le pic de l’épidémie serait déjà atteint à Pékin. “La vague semble assez voisine de celle que nous avons connue en Europe en janvier avec l’arrivée d’Omicron et est peut-être de plus grande ampleur puisque la population est vierge de toute immunité, décrypte encore le Pr Antoine Flahaut. La seule grande différence est que l’Europe avait très bien vacciné ses personnes âgées et celles à risques de forme grave, ce qui n’est pas le cas de la population chinoise.” Si les vaccins Sinopharm Sinovac ont été évalués de façon beaucoup moins transparente que les vaccins occidentaux, les équipes de Hong Kong ont pu estimer grâce à leur population, pour moitié vaccinée par Sinopharm Sinovac et l’autre moitié par des vaccins ARN messager, que trois doses de vaccins chinois étaient nécessaires pour être correctement protégé contre les formes graves. Or, à ce jour, 60 % des Chinois de plus de 70 ans n’auraient pas reçu leurs trois doses de vaccin.

“En transposant le modèle de Hong Kong qui a connu une très grosse épidémie en mars, les chercheurs prévoient un à deux millions de morts en Chine continentale [en 2023, NDLR], explique l’épidémiologiste. Mais il ne faut pas oublier que Hong Kong est une ville très développée avec des infrastructures sanitaires très évoluées contrairement à la Chine où il y a de très grandes disparités entre les grandes villes et les campagnes.” Le nombre potentiel de morts pourrait donc s’avérer encore plus élevé.

“On est très étonné par la situation. Au départ, c’était extrêmement strict et maintenant la population chinoise voyage beaucoup pour des raisons familiales ou professionnelles, notamment entre les villes, diffusant le virus dans le pays, confie le virologiste Hervé Fleury, professeur émérite à l’Université de Bordeaux et au CNRS. Ils n’ont pas suivi l’exemple de l’Australie qui a réussi sa politique de zéro Covid en relâchant la discipline sur les confinements après avoir vacciné la quasi-totalité de leur population.”

Pourquoi la population chinoise à risque n’était-elle pas à jour dans ses vaccins ? Les experts sont sceptiques. Des éléments de réponse sont peut-être à trouver dans la défiance de la population vis-à-vis du gouvernement ou dans la faible perception du risque que représente le virus en raison de l’absence de grandes vagues mortelles depuis 2020. Ou bien est-ce en raison de la politique Zéro Covid qui a très fortement réduit la circulation virale dans le pays ? Toujours est-il que cette stratégie se retourne aujourd’hui contre la population qui ne bénéficie pas d’une forte immunité collective. Un constat à nuancer dans certaines régions rurales dans le Nord et l’Ouest de la Chine, où il est probable que le contrôle de l’épidémie ait été bien moins efficace.

Conséquences sur l’Europe

Le monde entier a désormais les yeux rivés sur la Chine, l’opacité du régime rendant particulièrement difficile l’anticipation de l’évolution de la pandémie. Jeudi, le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a ainsi appelé le pays à partager ses informations sur cette nouvelle vague, proposant à nouveau de fournir des vaccins. De son côté, l’Inde, inquiète, a décidé de prendre des mesures de contrôles à ses frontières à coups de tests antigéniques et PCR. “Si l’on veut au moins anticiper les choses, il serait bien de tester les voyageurs revenant de Chine, estime le Pr Antoine Flahaut. L’Europe serait plus rapidement au courant de la montée de tel ou tel sous variant en faisant du séquençage en aval des PCR positifs.”

Selon les experts, la propagation de l’onde chinoise ne changerait pas grand-chose à la situation en Europe puisqu’une succession ininterrompue de vagues frappe déjà le continent depuis début 2022. De plus, le variant BF.7 est déjà présent sur le territoire. Il faut toutefois surveiller l’arrivée de potentiels nouveaux variants, à l’instar de ceux déjà produits par les foyers d’Inde ou d’Afrique du Sud. “Les nouveaux variants arrivent sur des populations déjà soumises à une immunisation, ils essayent d’échapper aux anticorps. Or, en Chine comme une bonne partie de la population n’est pas immunisée, nous n’aurons peut-être pas de mauvaises surprises, tempère le virologiste Hervé Fleury. Mais pour le savoir, il faut faire du séquençage.”

Outre la maladie, cette nouvelle vague en Chine pourrait également avoir un impact logistique sur le vieux continent engendrant des pénuries de médicaments, tests et masques ou une éventuelle nouvelle inflation. D’après le Financial Times, dix entreprises chinoises produisant de l’ibuprofène et des tests Covid ont confirmé ces derniers jours que toute leur production sera destinée au gouvernement plutôt qu’à leurs clients privés. « C’est une situation désespérée, mais c’est chacun pour soi », a déclaré au journal britannique un fonctionnaire de la ville de Nanjing, dans l’est du pays, où quatre producteurs de kits de dépistage rapide du Covid-19 ont été invités à déclarer leur production au gouvernement et à donner la priorité aux clients locaux. « Nous avons attendu tellement longtemps la levée des contrôles du Covid, mais celle-ci est arrivée si soudainement que les gouvernements locaux, les systèmes de santé et les entreprises d’approvisionnement n’étaient pas prêts », a-t-il ajouté.

En 2020, 50 % de la production mondiale de paracétamol provenait de Chine. Une potentielle pénurie serait particulièrement mal venue alors que la France fait face à une triple épidémie de bronchiolite, grippe et Covid-19.



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