Réforme des retraites : la difficile alliance entre la Nupes et les syndicats

Circulez, il n’y a rien à voir ! Les bergers de la Nupes l’assurent : entre eux et les syndicats, il n’y aurait pas le début du commencement de la moitié d’une feuille de papier à cigarette. Il ne saurait en être autrement alors que la bataille contre la réforme des retraites ne fait que commencer. « La moindre fissure entre nous signerait la victoire d’Emmanuel Macron », alerte Eric Coquerel, député de La France insoumise et président de la Commission des finances à l’Assemblée. Le million de personnes dans les rues de la métropole, le 19 janvier, fait gonfler le poitrail de fierté, Nupes comme syndicats. Pourtant, le front uni est un sacerdoce.

Chacun marche sur des œufs. Voilà quelques années que les organisations syndicales ont l’esprit sirupeux, la faute à une chute vertigineuse des adhésions, des rapports de force qui se tendent entre les leaders de chaque centrale, et ces derniers souvent dépassés par leurs bases radicales. Il y a sept ans à peine, en 2016, en pleine loi El Khomri, la crise de sens était à son paroxysme et 3 Français sur 5 disaient ne plus leur faire confiance. Trois ans plus tard, la situation s’est presque inversée et 56 % se fient à eux. Une bascule qui date de 2019, à l’aune du premier conflit des retraites de l’ère Macron. « On mesure le chemin parcouru, long et fastidieux, raconte un leader syndical, qui s’inquiète de la suite : personne n’a pas envie que quelqu’un débarque à l’improviste pour ruiner le travail accompli. »

Ce « quelqu’un » a un nom : Mélenchon. Lui n’est pas du genre à s’émouvoir de quelques omelettes. Son agenda n’est pas celui de la CGT, ni celui de la CFDT. Il n’a pas vu d’un mauvais œil le jour où la corporation réformiste de Laurent Berger a chipé la place de premier syndicat de France au nez et à la moustache de Philippe Martinez. Ce dernier et l’Insoumis en chef sont en froid depuis plusieurs mois. « On ne se cause plus, se lamente le CGTiste. Il passe ton temps à m’insulter sur son blog. » L’eau dans le gaz, entre les deux, serait avant tout politique, analyse Manuel Bompard, le numéro un de LFI : « Nous sommes en désaccord avec l’idée que tout ce qui est à la rue relève des syndicats. Nous reconnaissons leur légitimité à appeler à la grève, mais notre mouvement est aussi un outil de mobilisation populaire. »

« Personne n’est dupe »

La volonté des Insoumis de mobiliser, eux aussi, les masses dans la rue est vue par les syndicats comme une concurrence néfaste et contre-productive. Dernier exemple en date : le rassemblement des mouvements de jeunes du 21 janvier. Officiellement lancé à l’appel des syndicats de jeunesse – sauf l’Unef, le premier d’entre eux – il a été considéré comme « la marche de Mélenchon » par les syndicats. « Personne n’est dupe. On a tous vu Louis Boyard [NDLR : député LFI et ancien syndicaliste lycéen] aller voir les uns et les autres pour organiser tout cela », peste-t-on autour de Philippe Martinez.

Avec les autres syndicats, l’ambiance est moins suspicieuse. À en croire certains Insoumis, il faudrait même remercier Eric Coquerel d’avoir « fait la tournée des popotes » ces derniers mois, « le seul qui est en contact permanent avec Martinez, Berger et les autres », souffle une députée LFI. En décembre, à quelques jours de Noël, il s’entretenait avec le CGTiste et, début janvier, avec Berger. Un proche de Coquerel arrondit les angles, quitte à fâcher Mélenchon : « On soutiendra chacune des mobilisations, y compris celles des jeunes comme le 21 janvier. Mais ce n’est pas ça le pivot de la lutte. Chacun doit comprendre que c’est aux syndicats de donner le tempo. »

Les autres partenaires de la Nupes surveillent attentivement les syndicats. Les écologistes, qui n’ont guère de culture syndicale, ont multiplié les rapprochements avec la CGT notamment, à l’initiative de leur nouvelle cheffe, Marine Tondelier. « Il peut parfois y avoir un empressement des Insoumis à imposer leur calendrier, alors que la logique devrait d’abord être l’accompagnement des syndicats », estime le député PS Arthur Delaporte. L’avenir du front uni dans la bataille contre la réforme des retraites dépendra moins de l’état de forme de syndicats ou de la Nupes que des velléités de l’agenda de Mélenchon et ses insoumis.



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