Réforme des retraites : la stratégie du gouvernement face à la mobilisation

Deux pays, deux tonalités. En France, le soldat Olivier Dussopt, privé de voyage diplomatique et envoyé au front, enchaînait jeudi le micro de RTL et les caméras de BFMTV pour délivrer la parole gouvernementale après les manifestations contre la réforme des retraites. « La mobilisation est importante, c’est indéniable, et ça ne sert à rien de nier les choses », a assuré le ministre du Travail sur la chaîne d’information en continu, après avoir assuré à la radio quelques heures plus tôt qu’il fallait « écouter les messages dans les cortèges de ce matin et de cet après-midi ». Prime à l’humilité. Face au million de contestataires dans les rues, selon le ministère de l’Intérieur, ou aux deux millions selon la CGT, avait-il vraiment d’autre choix ?

De l’autre côté des Pyrénées, Emmanuel Macron, lui, se montre plus ferme. Au sortir du sommet franco-espagnol auquel il participait, s’il se satisfait de l’absence « de débordements et de violences », le chef de l’Etat fait le choix de démontrer sa détermination en plaçant le débat sur sa légitimité démocratique. Et donc, sur sa personne : « Il y a eu aussi un premier tour qui m’a placé en tête, où les choses avaient été dites en très grand détail et clairement. Il y a ensuite eu des législatives, qui ont donné une majorité relative, où les choses étaient portées clairement. On ne peut pas faire non plus comme s’il n’y avait pas eu d’élections il y a quelques mois, c’est juste ce que je dis, avec beaucoup de calme, parce que cette réforme fait partie de ce qui avait été présenté. » Voilà les contestataires prévenus, s’ils avaient encore un vague espoir : le président de la République est et restera droit dans ses bottes. A ses ministres de se débrouiller avec ça.

Cette première grande journée de manifestation, malgré son ampleur, n’y changera rien. Certes, les membres du gouvernement concèdent que le nombre de Français dans la rue se situe dans la fourchette haute de ce qu’ils attendaient, pourtant, dans l’après-midi, au point culminant de la mobilisation, ils tendaient plutôt à minimiser l’évènement. Du moins, à le normaliser. « C’est plutôt réussi, mais je ne suis pas surpris, c’est le contraire qui aurait été étonnant. En revanche, ce n’est pas un carton », glissait un ministre aux alentours de 18 heures. Quelques minutes plus tard, un autre tempérait : « C’est assez fort, même si le taux de grévistes est inférieur à celui de 2019 au premier jour. »

Ce n’est pas tant les chiffres de cette première journée qui inquiètent l’exécutif que la capacité des organisations syndicales et politiques à reproduire, et intensifier, ces mobilisations dans les semaines qui viennent. A quel point le mouvement tiendra-t-il la longueur ? « C’est la dynamique qui donnera le ‘la’. On verra si ça baisse ou non lors des deux ou trois prochaines journées organisées par l’intersyndicale. Ce sera ça, le vrai baromètre », dit-on au sein du gouvernement, même si un ministre prévoit une journée de samedi, menée par les organisations de jeunesse avec le soutien de la France insoumise, « largement en retrait » comparée à celle de jeudi. La prochaine journée de manifestations, prévue le 31 janvier par l’intersyndicale, aura valeur de vrai premier test pour les syndicats dans leur capacité d’embarquer Monsieur et Madame tout le monde dans leur combat.

Depuis des semaines, plusieurs membres de l’équipe gouvernementale parient sur un soutien de moins en moins franc de la part des Français, qui seraient « plus fatigués qu’en colère » dans le contexte de crise économique actuel. « Aujourd’hui les gens ont besoin d’apaisement, ils ont plutôt envie d’être rassemblés que divisés. Ils reconnaissent qu’on est en train d’aider, difficile pour eux de dire qu’on les étrangle », explique l’un d’eux. Un risque perdure pour autant : qu’un mécontentement global contre les grèves, les blocages, ou pire encore contre des initiatives violentes prises hors de tout cadre syndical, vienne à se transférer sur le pouvoir en place, jugé incapable de les endiguer.

Dans les rangs macronistes, plus le temps avance et plus on assume la nécessité de rester ouvert à la discussion afin d’atténuer les voix des opposants. Un ministre venu de la droite reconnaît sans mal que « sur les carrières hachées, et notamment pour les femmes, il y a encore des choses à travailler ». Un autre suggère d’améliorer l’index seniors, en le rendant pour partie contraignant. Bouger, peut-être, mais à la marge. « Maintenant, on avance, confie un membre du gouvernement. Avec ce texte, on est un peu dans la logique du tout ou rien. »

L’exécutif a l’Histoire de son côté : depuis 1995, jamais une réforme des retraites n’a été retirée par la mobilisation de la rue. Alors, jamais il n’est question d’un quelconque abandon. Un membre de l’exécutif résume tout en se rassurant : « La réforme va être votée, on a l’ambition d’aller jusqu’au bout. Et une fois que ce sera fait, dans six mois, il va se passer quoi ? Rien. Tout le monde aura oublié. »



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