Streaming : Salto, tombé au champ d’honneur

Un faux sursis. La présidente de l’audiovisuel public, Delphine Ernotte, a indiqué ce vendredi 20 janvier sa volonté de « céder Salto » au cours d’un Comité social économique (CSE) central extraordinaire. Mais le service de vidéo à la demande par abonnement (SVoD), qui compte une cinquantaine de salariés, ne dispose pas à ce jour de repreneur sérieux. La dissolution, sauf retournement de situation, apparaît donc inéluctable. Après un peu plus de deux ans d’existence, la plateforme s’apprête à quitter la scène au sommet de son art, avec un nombre d’abonnés plutôt honnête (près d’un million au dernier comptage, son record) et l’équivalent de 3,5 % de la consommation de SVoD en France. Certes, ces chiffres ne sont pas comparables à ceux des géants américains du streaming vidéo que sont Netflix, Amazon ou encore Disney, qui à eux trois cumulent presque 70 % de parts de marché dans l’Hexagone. Mais Salto, créé par TF1, M6 et France Télévisions, progressait mois après mois.

De quoi manquait Salto ? Certainement pas d’ambition. A l’origine, la plateforme se voyait en « champion européen qui pèserait sur la scène mondiale ». Elle laisse un goût amer tant son échec a été acté de longue date. Dès l’évocation du projet dans la loi de finances pour 2019, le rapporteur Jean-Pierre Leleux (ex-sénateur LR) faisait part de ses doutes vis-à-vis d’un service qui ne présente alors « aucune garantie d’attractivité (aucun budget propre pour développer la création) ». Une critique qui s’est révélée plutôt juste ; les investissements ont atteint un maximum de 135 millions d’euros (avec une rallonge de 250) pour Salto contre 17 milliards de dollars, par exemple, pour le seul Netflix en 2021.

Pas de quoi produire des séries et des films exclusifs à la hauteur du leader du secteur à qui il a demandé plusieurs années avant d’atteindre la rentabilité. Comme un symbole, en plus de ces défauts structurels, Salto atterrissait officiellement sur nos téléviseurs en octobre 2020 après avoir raté une sombre mais riche période pour le streaming vidéo, à savoir le premier confinement de la pandémie de Covid-19. Et pour couronner le tout, sans être distribué par les opérateurs télécoms Orange, Free et SFR.

« Investissement absurde »

La suite n’a pas été une partie de plaisir. Le long feuilleton du mariage TF1-M6 (depuis abandonné) a quant à lui distillé un lent poison au sein du service de SVoD. Les concurrents n’en demandaient pas tant. La pression sur la clientèle française s’est encore accentuée en 2022 avec l’arrivée de Paramount +, Universal + et l’offre « Pass Warner » par Prime Video (Amazon) qui avait déjà raflé le championnat de football de Ligue 1. Sans oublier le lancement de l’abonnement avec publicité de Netflix, deux euros moins cher que Salto (5,99 contre 7,99 euros), qui a conquis plus d’abonnés en un mois (décembre) que la plateforme française durant toute sa vie. Avec de moins en moins de nouveaux clients à séduire, le ciel s’est vite assombri au-dessus du streameur. D’autant plus que le catalogue restait limité, à peine sauvé par la présence de la saga Harry Potter, de l’épisode spécial Friends ou des retours des célèbres séries Sex in the City et Un Dos Très.

Même les parties prenantes s’étaient, semble-t-il, préparées à l’échec. TF1 et M6 ont ainsi déjà propulsé leurs offres payantes indépendantes, MYTF1 Max et 6play Max à des tarifs bien plus raisonnables (2,99 euros la première année puis 3,99 euros). Des solutions de replis qui s’accompagnent surtout de fonctionnalités techniques (HD, replay disponible sur 30 jours…) plus que de contenus exclusifs. Comme après chaque divorce, reste maintenant à faire les comptes.

Selon Les Echos, les pertes atteindraient au total 200 millions d’euros. Le sénateur Roger Karoutchi, rapporteur spécial des crédits dédiés à l’audiovisuel public au sein de la commission des finances du Sénat, a critiqué cette semaine un « investissement absurde » de la part du service public. Le paysage du SVoD à la française est pour le moins morose. OCS, en cours de rachat par Canal +, vient lui de perdre son principal attrait, à savoir les droits du catalogue HBO (Game of Thrones, Succession, The Wire…). La chaîne cryptée apparaît cependant comme la seule capable de proposer une alternative solide aux plateformes américaines. Salto, lui, aura quand même essayé.





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