Eneo, Senelec, Onee… Face à l’envolée des coûts de l’électricité, le dilemme des États – Jeune Afrique


[Exclusif] Le classement 2023 des 500 champions africains

500 CHAMPIONS AFRICAINS – « Les gouvernements sont dans une situation difficile », concède d’entrée de jeu Heba Samir, directrice régionale des ventes chez Elsewedy Electric, le géant égyptien des équipements électriques présent dans dix-neuf pays africains. Et pour cause : l’envolée de la facture énergétique due à la pandémie puis à la guerre en Ukraine a fortement renchéri le coût de production de l’électricité. Les compagnies nationales sont dès lors face à un dilemme : maintenir les prix inchangés au risque de voir leur déficit – déjà très élevé – se creuser, ou répercuter la hausse sur les consommateurs et risquer d’alimenter la colère de la population, déjà éprouvée par une inflation galopante des produits de consommation.


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Une équation difficile et un choix politique sur lequel n’ont que peu de prise les compagnies électriques dont les actions sont tributaires du feu vert du régulateur ou parfois directement d’une commission gouvernementale.

Des tarifs en hausse dans plusieurs pays

Plusieurs pays ont choisi de trancher le nœud gordien en révisant à la hausse les tarifs. C’est le cas par exemple du Cameroun, qui a décidé, pour la période allant de 2023 à 2025, d’augmenter les prix appliqués par la compagnie d’électricité Eneo à ses clients de la moyenne tension, tout en fixant des « seuils minima de négociation des tarifs pour les clients dits « grands comptes », annonçait l’Agence de régulation du secteur de l’électricité (Arsel) dans une décision publiée le 12 décembre 2022.

Sitôt entrée en vigueur, elle a suscité l’ire de certains industriels, à l’image de l’Organisation camerounaise des industries de transformation de l’acier (Ocita), qui s’est insurgée en janvier contre une décision dont elle juge les conséquences « très graves » pour l’économie.


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Il en est de même de l’Afrique du Sud, où les tarifs vont bondir de 18,65 % à partir du 1er avril. Plongé dans une crise de l’électricité au point de pousser le président Cyril Ramaphosa à déclarer l’état de catastrophe nationale, l’État tente de sauver de l’effondrement la compagnie nationale Eskom, dont la dette s’élève à 23 milliards de dollars. Là encore, la décision n’a pas tardé à faire réagir les syndicats, tel le Nehawu, plus important syndicat du service public du pays, qui s’est dit, dans un communiqué publié en janvier, « irrité » par cette augmentation qui intervient un an seulement après la précédente (+9,6 %).


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C’est le cas également du Sénégal, qui a décidé, à partir du 1er janvier, de réduire la subvention en faveur des consommations dépassant 150 kilowattheure. « La subvention de l’État continue d’être effective pour toutes les tranches de consommation de Senelec [Société nationale d’électricité du Sénégal]. Seulement, pour la rendre pérenne et efficiente, elle a été réajustée pour mieux refléter la volonté sociale et solidaire du président de la République », a tempéré le directeur de la Senelec, Pape Mademba Biteye. « Nous avons réajusté la répartition de telle sorte que, plus vous consommez, moins vous bénéficiez de la subvention. (…) Ces ajustements donnent en moyenne une hausse de 16,62 % pour la clientèle de basse tension tout en préservant la couche sociale la plus vulnérable, qui n’est pas concernée [près de 1,2 million de clients]», assurait-il.


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D’autres pays devraient suivre, comme le Congo-Brazzaville, qui s’apprête à augmenter les tarifs de l’électricité, selon une annonce faite le 21 février par le ministre de l’Énergie et de l’Hydraulique, Émile Ouosso. Le 7 février, la ministre tunisienne de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie a quant à elle annoncé qu’une hausse des tarifs de l’électricité était programmée pour 2023, sans toutefois préciser la date de son entrée en vigueur. Le pays du Jasmin, dont les besoins en électricité sont en partie comblés par son voisin algérien, affiche des tarifs parmi les plus bas d’Afrique, avec 3 euros (moins de 2 000 F CFA) pour 75 KWh par mois, selon une récente étude du cabinet Deloitte, bien loin des prix pratiqués au Congo, au Sénégal, en Côte d’Ivoire ou au Maroc (entre 5 000 et 7 000 F CFA pour une consommation équivalente).

Quelle alternative à l’augmentation des prix ?

Un choix que n’ont pas fait d’autres pays. Au Maroc, où les tarifs sont réglementés par une commission interministérielle, aucune hausse n’a été appliquée malgré la situation alarmante de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (Onee). Le 12 avril 2022, son directeur général, Abderrahim El Hafidi, avait déclaré devant une commission parlementaire que, sans une aide de l’État, l’établissement public, dont la dernière augmentation des prix pratiques date de 2017, devrait enregistrer un déficit de plus de 2 milliards d’euros. Un trou qui nécessiterait une hausse de 40 % du prix aux consommateurs selon les déclarations du porte-parole du gouvernement Mustapha Baïtas quelques semaines plus tôt.


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Pour épargner le pouvoir d’achat de la population, déjà érodé par l’envolée des produits de consommation courante, le gouvernement d’Aziz Akhannouch avait prévu de débloquer une aide de 14 milliards de dirhams (1,3 milliard d’euros) au profit de l’Office. En octobre dernier, l’exécutif a finalement annoncé l’octroi de 5 milliards de dirhams au profit de l’Onee pour maintenir les prix inchangés. Outre l’aide de l’État, l’office a également lancé en février une opération de titrisation des créances portant sur un montant de 2,1 milliards de dirhams.


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Du côté de la RD Congo, le gouvernement est tout aussi hermétique à une hausse des tarifs. Du moins pour le moment. « LÉtat doit venir à chaque fois en aide de la population, car les coûts sont de plus en plus élevés. Mais l’État ne peut pas tout supporter. C’est pourquoi nous appelons à l’aide les bailleurs internationaux », nous dit Idesbald Chinamula Vuningoma, directeur général de l’Agence nationale de l’électrification et des services énergétiques en milieux rural et périurbain (Anser RDC).


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Les nouveaux projets de production à l’arrêt

Mais, dans le contexte actuel, un autre facteur vient encore compliquer la donne : les producteurs d’électricité indépendants (IPP), investisseurs privés, n’entendent plus subir seuls les effets de la crise. « Nous avons négocié les tarifs avant la guerre et même avant la pandémie de Covid-19. Depuis, tous les prix ont augmenté, entraînant une forte hausse des coûts », décrit à Jeune Afrique Heba Sabir, précisant, de fait, que de nombreux projets d’Elsewedy Electric sur le continent (25 % de son chiffre d’affaires) sont désormais en « stand-by ». Même constat du côté de Globeleq, premier producteur indépendant d’électricité en Afrique. Dans un entretien accordé à Jeune Afrique, son PDG, Mike Scholey, reconnaît que « la hausse du prix des matières premières, de la main-d’œuvre et du transport » affectent aujourd’hui « la viabilité des projets ».


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« Il y a d’un côté la nécessité d’accélérer l’électrification de l’Afrique, et de l’autre les contraintes liées à la montée en flèche des prix des matières premières. Malheureusement, les gouvernements ne peuvent pas toujours répercuter la hausse sur les tarifs finaux. En tant que producteurs indépendants, nous nous retrouvons au milieu, sans pouvoir agir autrement qu’en ralentissant des projets dans certains pays », regrette un opérateur énergétique rencontré le 7 février à l’Africa Investment Forum & Awards à Paris.

De son côté, Mike Scholey voulait croire en une issue favorable aux IPP : « Avec une gestion prudente de la part des entreprises concernées et des organismes de réglementation, je suis convaincu que des solutions à ce problème peuvent être trouvées. Mais il faudra du temps, de l’attention et une volonté de faire preuve de créativité des deux côtés. »



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