Réinventer les voies ferrées en Afrique – Jeune Afrique


L’écrivain Jules Renard parlait du train comme de « l’automobile du pauvre », à laquelle il ne manquait qu’une chose : la faculté de « pouvoir aller partout ». Aller partout grâce au train, quelle gageure pour un continent africain dont la superficie est supérieure à celle, combinée, des États-Unis, de la Chine, et de l’Europe tout entière ! Pour autant, le rail est une formidable opportunité, à un moment où l’Afrique voit sa demande de transport de masse exploser, et que se présente l’occasion d’enjamber l’ère du transport individuel thermo-fossile, dont l’Occident peine à s’extraire.

Explosion de la demande

Qu’il s’agisse du trafic passager ou du fret, le transport de masse africain connaît une croissance fulgurante. Pour les passagers, les flux sont notamment tirés par une urbanisation galopante, sur un continent qui devrait compter 900 millions de citadins supplémentaires à horizon 2050. Pour le fret, les flux de marchandises et matières premières à acheminer à travers l’Afrique sont corrélés à la croissance du PIB continental, qui devrait être multiplié par 10 à horizon 2050-2060, atteignant 29 000 milliards de dollars.

Parmi ces flux, le fret minier – déjà important – devrait bénéficier de la hausse de la demande mondiale pour les « minerais critiques » de la transition énergétique (cobalt, manganèse, lithium, cuivre, etc.). Minerais dont l’Afrique regorge : le continent concentre par exemple 70% de la production mondiale de cobalt et 60% de la production de manganèse.


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Triplement attractif

Face à ces besoins considérables, le ferroviaire est triplement attractif. D’une part, il s’agit d’un mode de transport durable : selon l’énergie utilisée, le fret ferroviaire émet deux à neuf fois moins de CO2 par kilomètre que le fret routier, pour une même masse transportée, tandis qu’un voyageur TGV émet 50 fois moins de CO2 par kilomètre qu’un automobiliste, à distance équivalente.

D’autre part, le ferroviaire est fortement compétitif pour le transport terrestre. Le prix du transport d’un conteneur par rail d’Abidjan vers Ouagadougou est inférieur de 15 % à 20 % à celui du transport par la route. En ce sens, le développement du rail est un enjeu majeur pour renforcer l’intégration des zones économiques africaines et les échanges avec les autres continents. Enfin, le coût social du ferroviaire est limité : une étude de la Commission européenne estime que les externalités négatives liées au transport passager par le rail (nuisances sonores, pollution, accidents, etc.) sont 50 à 80% inférieures à celles de l’automobile.


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Conscients de ces opportunités, les investisseurs et bailleurs internationaux s’intéressent de plus en plus au secteur ferroviaire en Afrique, comme l’illustre le financement de 100 km de voies ferrées au Ghana (Takoradi-Vallée de l’Huni) pour 600 millions d’euros, alloué par la Swedish Export Credit Corporation (SEK) et l’Export Credit Insurance Corporation of South Africa (ECIC), aux côtés de plusieurs institutions bancaires, dont Investec et Rand Merchant Bank. Ces investissements sont appelés à prendre de l’ampleur… sous réserve qu’un certain nombre de feux soient au vert.

Cinq prérequis incontournables

Pour réinventer les voies ferrées en Afrique, il faut d’abord trouver des modèles économiques viables. Cela passe notamment par une allocation optimale des responsabilités et du financement, à l’image du TER de Dakar, dont les infrastructures appartiennent à l’État sénégalais, qui récupère l’intégralité des recettes et paie un forfait annuel à la société d’exploitation (Seter, détenue par la SNCF). Une partie du capital de la Seter (34 %) a été transférée à l’État début 2023.


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Il convient ensuite de renforcer la planification de la mobilité urbaine, pour faire du rail l’épine dorsale des villes africaines. Cela implique de structurer des réseaux intermodaux, dans une logique d’ensemble, à l’instar du métro léger d’Addis-Abeba (30 millions de passagers par an), fortement articulé aux lignes de bus à haut niveau de service (BHNS, ou BRT) de la capitale éthiopienne.

Il faut aussi éviter les éléphants blancs et rechercher l’efficience, en répondant à des besoins structurels. Par exemple, le TGV Al Boraq – sorti de terre pour 2 milliards d’euros – ne contribue pas seulement au rayonnement international du Maroc : il offre surtout à ses 2,6 millions de voyageurs annuels une solution de mobilité efficace pour relier les principales villes du royaume, divisant par deux le temps de trajet entre Tanger et Casablanca.

De même, il est nécessaire d’articuler le ferroviaire aux autres infrastructures logistiques, notamment les zones industrielles et les ports. À l’image du corridor logistique du TransGabonais, opéré conjointement par Comilog (Eramet), Meridiam et l’État, qui permet de relier les gisements considérables de manganèse du Gabon – deuxième producteur à l’échelle mondiale – au port minéralier d’Owendo, opéré par le groupe Arise.

Enfin, il est essentiel de minimiser l’impact environnemental, en privilégiant les projets « verts ». C’est le cas du monorail du Grand Caire qui, doté d’une capacité de 90 000 passagers par heure, devrait réduire les émissions associées aux transports cairotes de plus de 270 000 tonnes de CO2 par an, l’équivalent de l’empreinte carbone annuelle de plus de 100 000 Égyptiens !

On l’aura compris : l’enjeu pour le ferroviaire africain n’est pas tant de « pouvoir aller partout » que d’aller là où les opportunités de création de valeur sont les plus fortes, pour les usagers comme pour les entreprises. Pour les décennies à venir, le train pourrait donc abandonner son rôle d’ « automobile du pauvre » pour endosser celui de grande locomotive du développement africain !



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