Retraites et 49.3 : la méthode Elisabeth Borne, le compromis au mépris de la conviction

Une fois, deux fois, trois fois… Puis nous avons cessé de compter. « Compromis », le mot a semblé encombrer les paroles d’Elisabeth Borne, dépêchée ce jeudi soir sur TF1, pour tenter d’éteindre l’incendie allumé par le recours (presque) inattendu à l’article 49.3 de la Constitution. Surtout, montrer, crier, que ce gouvernement est capable de négocier, de composer. Eviter à tout prix l’écueil du jupitérisme : la décision solitaire, celle qui jette les foules dans la rue, faute de dialogue. Mais le compromis n’est pas performatif, il ne suffit pas de le convoquer dans un discours ou une conversation pour qu’il advienne et apaise les esprits échauffés. Surtout, le compromis trop souvent invoqué a un versant peu flatteur : l’affaissement des convictions.

En répétant que « le texte est le fruit d’un compromis », en rappelant les longs « mois de concertations avec les organisations syndicales », en exprimant sa certitude « que c’est en trouvant des compromis [décidément] qu’on peut proposer les meilleures solutions pour les Français », Elisabeth Borne a oublié de dire à ceux qui ce soir avaient leurs yeux rivés sur leur écran de télévision, avides de savoir s’il leur faudra vraiment travailler jusqu’à 64 ans, les raisons de sa croyance profonde en cette réforme des retraites.

Pourquoi repousser l’âge de départ relève, selon elle, de l’absolue nécessité ? Quel avenir sombre attend les Français si la réforme n’est pas votée ? Tant d’interrogations qui depuis des mois paraissent rester en suspens, faute de réflexion politico-philosophique sur l’évolution du monde du travail. La réforme des retraites aurait pu être l’occasion pour Emmanuel Macron et son gouvernement de se saisir des débats qui traversent notre société, les défis numériques, climatiques, les nouvelles conditions de travail… Au lieu de cela, l’exécutif a souhaité commencer par la technique, les chiffres, pour aborder, dans un second temps, qui semble de plus en plus s’éloigner, ce monde du travail en plein bouleversement.

Un aveu qui en dit long

Ralliez-vous à mon panache blanc ! Mais qui aurait eu la folie de suivre Henri IV s’il n’avait pas encouragé ses troupes en les persuadant de sa foi intime en la victoire ? Comment soutenir une réforme en laquelle la Première ministre en personne oublie de rappeler qu’elle croit ?

Lors de cette drôle d’allocution, l’actuelle locataire de Matignon n’a pas non plus eu l’audace de contredire les discours parfois utopiques des oppositions. Face au rêve d’un retour à la retraite à 60 ans que la gauche se plaît à faire miroiter, n’y a-t-il pas un principe de réalité qu’elle aurait pu rappeler ? « Nous avons beaucoup bougé », a-t-elle préféré témoigner, et tant pis si le supposé allié LR à qui l’on a beaucoup cédé n’en a fait qu’à sa tête. Tout juste Elisabeth Borne a-t-elle osé un timide : « Certains ont voulu jouer une carte personnelle. »

Non, l’heure n’est pas à la tête haute et à la confiance en sa réforme, sinon, pourquoi conclure sur cet aveu : « Il y a même des mesures avec lesquelles je ne suis pas nécessairement d’accord » ? A n’en pas douter la Première ministre avait à coeur de prouver que ce gouvernement est capable d’écoute et de malléabilité. Mais c’est oublier un peu vite que le succès en politique s’obtient toujours parce qu’on a su convaincre.



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