après 15 années de prix cassés, la France change d’époque


Pousser son chariot dans les allées d’un supermarché n’est plus, depuis quelques mois, une partie de plaisir. Dans les semaines à venir, l’opération risque de se révéler plus déprimante encore, notamment pour les ménages les plus modestes, chez qui l’alimentation pèse lourd dans le budget. L’inflation , de 12,6 % en décembre 2022, au dernier pointage de l’Insee, ne va pas refluer. Pour Bruno Le Maire, ministre de l’Économie pressé de sortir du « quoi qu’il en coûte », la hausse des prix dans les rayons est « LE sujet majeur » du nouveau mandat. Un point « d’extrême vigilance », soulignait-il durant ses vœux aux médias. D’autant que la croissance verte et les relocalisations vont faire monter les prix, ­mécaniquement.

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Des négociations commerciales sous tension

Pour les produits alimentaires et de grande consommation, comme la lessive ou le shampoing, les hausses de prix négociés entre industriels et grande distribution pour 2023 sont considérables, autour de 20 % en moyenne selon le patron de Système U, Dominique Schelcher. Elles expliquent les tensions inédites qui ont secoué, ces derniers jours, le démarrage des traditionnelles négociations annuelles sur les prix . Les fabricants y ont rappelé avec fracas qu’ils n’étaient pas encore entrés « dans le dur ». Le coût de certaines matières premières agricoles, de plusieurs catégories de produits d’emballage, de modes de transport a bien arrêté de progresser, mais l’impact de la crise de l’énergie sur leurs coûts de production reste à venir. Une grande partie des entreprises se fournissent en électricité avec un contrat à prix fixe et sur une durée contractuelle. Une majorité de ces contrats sont arrivés à échéance fin 2022 ou le seront courant 2023. Pour les entreprises dont le contrat est indexé sur le prix du marché, la facture va flamber.

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Les outils pour défendre les consommateurs, les agriculteurs, les industriels et les distributeurs existent déjà

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Ému par l’appel des boulangers lors de la galette de l’Élysée, Emmanuel Macron a demandé que soit fait un geste en faveur des entreprises de moins de 9 salariés. Elles ont obtenu « un tarif garanti automatique » financé par l’État. Les PME auront, elles, accès à « un dispositif d’amortisseur ». Les grands groupes, eux, ne pourront pas compter sur le soutien de l’État pour bénéficier de meilleurs tarifs. Il a malgré tout fait un geste dans leur direction en proposant le ripolinage du cadre législatif des négociations commerciales. La proposition de loi du député Renaissance Frédéric Descrozaille, votée cette semaine à l’unanimité, ne restera pas dans les annales de l’Assemblée. Elle ne devrait avoir qu’un effet limité sur le prix des étiquettes. « Les outils pour défendre les consommateurs, les agriculteurs, les industriels et les distributeurs existent déjà, souligne Olivier Andrault, expert chez UFC-Que choisir. Il suffit de faire respecter la loi. »

Forces contraires

Bercy plancherait depuis quelques jours sur une mesure présentée comme un panier anti-inflation . Les distributeurs seraient invités à choisir 20 références qu’ils pourraient proposer à prix cassé pour une période encore non définie. Chaque enseigne composerait le panier à sa guise. « Choisir 20 produits quand la totalité est touchée n’est qu’un gadget pour endormir le consommateur », s’indigne Olivier Andrault.

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D’un côté les cours mondiaux des matières premières sont en phase de reflux, de l’autre les hausses de prix de l’énergie sont devant nous

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Pour Denis Ferrand, directeur général de Rexecode, le choc inflationniste est actuellement tiraillé par deux forces contraires. « D’un côté les cours mondiaux des matières premières sont en phase de reflux, de l’autre les hausses de prix de l’énergie sont devant nous », formule-t-il. Quelles que soient les conséquences sur les prix des négociations commerciales en cours, mesurer l’évolution réelle de l’inflation alimentaire d’ici à la fin de l’année est quasi impossible.

Les Français ont commencé à changer leurs habitudes

« Les prix qui sortent des fermes, donc de l’amont, sont encore 30 % plus élevés qu’en novembre 2019 », assure l’économiste. À ses yeux, il faudrait démêler « l’arbre des causes », mais in fine tout le monde devra prendre sa part de hausse. Biberonnés depuis le Covid à des mesures d’aide variées, dont le bouclier tarifaire pour l’énergie, les Français se sont rendu compte au deuxième semestre qu’ils avaient résolument changé d’époque, après quinze années de déflation et de prix cassés.

Ils ont commencé à changer leurs habitudes en réduisant le contenu de leur chariot. Ils sacrifient leurs achats de produits bio, de viande et de poisson et privilégient les marques distributeur, dont les discounters ont fait leur spécialité . « Ils pratiquent désormais la dévalorisation : apprennent à acheter moins cher, recherchent les promotions, réduisent leurs volumes », décrit Gaëlle Le Floch, directrice marketing spécialisée dans la grande consommation chez Kantar. « Le pouvoir d’achat reste leur premier sujet de préoccupation », ajoute-t-elle. Les mois à venir pourraient laisser place à la chasse au gaspillage et au recyclage, deux valeurs sûres et… durables.



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